Areva à vau-l’eau


Dans la vraie vie, quand une entreprise fait en une année une perte égale à la moitié de son chiffre d’affaires, on vire les dirigeants, on vend les actifs et on licencie.

PAR MARC SCHINDLER, Alès

Mais Areva, dont la fière devise est: «Areva, l’avenir pour l’énergie», n’est pas dans la vraie vie. Areva est un symbole de l’excellence française, comme la tour Eiffel, le Mont Saint Michel ou le champagne. Pas touche! Alors, quand le groupe nucléaire a annoncé 4,8 milliards d’euros de pertes pour 2014, ce désastre industriel et financier a fait l’effet d’une bombe atomique. Jeu de mot facile!

Panique au gouvernement, affolement à la Bourse, consternation des éditorialistes, colère des syndicats. Mais comment en est-on arrivé là? Pendant des décennies, on a seriné aux Français qu’ils avaient l’électricité la moins chère d’Europe, grâce à la filière nucléaire. Merci Areva! Le choix du tout nucléaire, la construction de 58 réacteurs qui produisent 75 % de l’électricité ont fait de la France le champion de l’atome. Et d’Areva le flambeau de l’indépendance énergétique.

Anne Lauvergeon, sa patronne emblématique pendant des années, cultivait une indépendance ombrageuse et elle s’était lancée dans des aventures coûteuses, comme le contrat Uramin de recherche d’uranium au Niger, les énergies renouvelables, notamment dans l’éolien en mer et le solaire ou l’EPR, le réacteur de dernière génération, qui coûtera trois fois plus cher que prévu et qui ne sera jamais rentable. Comme l’explique dans Mediapart Martine Orange: «L’histoire d’Areva tient de la chronique d’une catastrophe annoncée. Ce n’est pas la catastrophe de Fukushima, suivie par un nouveau grand hiver nucléaire qui est à l’origine des déboires d’Areva. Ce retournement de cycle n’a fait que mettre en exergue des problèmes internes antérieurs.» Il y a des années que Areva perd de l’argent et vend ses bijoux de famille pour camoufler ses pertes, notamment ses stocks stratégiques d’uranium.

«Atomic Anne» avait un caractère de cochon, mais elle était soutenue par le gouvernement, de droite ou de gauche. Pendant des années, elle a mené un combat féroce contre le patron de son principal client, EDF. Résultat: en 2009, la France a loupé un contrat nucléaire à Abou Dhabi, parce que EDF et Areva se sont présentés en ordre dispersé. Quand les comptes d’Areva ont viré au rouge, qu’a fait l’État, propriétaire d’Areva à 87 %? Qu’ont fait les ministres de l’industrie, le flamboyant Montebourg et le brillant Macron? Et les représentants de l’État au conseil d’administration? Qu’a fait la Cour des comptes, chargée d’expertiser les comptes d’Areva? Ils ont fermé les yeux sur les «errements des nucléocrates». Aujourd’hui, l’État-propriétaire est au pied du mur: il faut sauver à tout prix le soldat Areva. Le nouveau PDG du groupe a été prié de réviser complètement la stratégie d’Areva. Il doit économiser 1 milliard d’euros et essayer de sauver ce qui peut l’être: l’EPR et son savoir-faire nucléaire. Le reste, on le bradera si nécessaire. Et suggère fermement le ministre: Areva et EDF vont devoir collaborer et peut-être même fusionner. Les deux groupes sont sommés «d’abandonner les querelles du passé». L’État exige «une remise en ordre de la filière nucléaire (…) dont la France est fière». Exécution! De toutes façons, la France n’a plus les moyens de recapitaliser son canard boiteux.

EDF met les pieds au mur.   Elle a réalisé en 2014 un chiffre d’affaires de 73 milliards d’euros et un bénéfice de 4,8 milliards. Selon Mediapart, «L’électricien public ne se voit pas le comptable de l’avenir d’Areva… L’intérêt d’EDF n’est pas de prendre le contrôle d’Areva. D’abord, EDF n’a pas des moyens illimités. De plus, sa stratégie est plutôt de se développer dans les énergies renouvelables et de prolonger la vie des réacteurs existants. Ce qui est une solution beaucoup plus rentable et économe que d’acheter des EPR». Veux pas le savoir, répond le gouvernement, qui explique sans rire qu’il n’y aura pas de licenciement. Les syndicats d’Areva n’ont pas d’illusions, ils estiment que des milliers d’emplois seront supprimés.

L’aventure d’Areva aura coûté à la France plus de 8 milliards d’euros. Qui va payer? Les économistes ont déjà leur réponse: en mariant EDF et Areva, ce sont les consommateurs qui régleront la facture avec leur bordereaux d’électricité. Il faudra quand même que le gouvernement s’explique sur ce désastre industriel et financier. Il faudra aussi que les responsabilités des industriels, des politiques et des fonctionnaires soient établies. À quelques semaines des élections régionales, François Hollande se serait bien passé de l’affaire Areva. Tous les sondages d’opinion donnent le parti socialiste battu et le Front National en nette hausse. Décidément, selon le mot cruel de Jacques Chirac: «les emmerdements, ça vole en escadrille!»

Tags: , , , ,

3 commmentaires à “Areva à vau-l’eau”

  1. Bernard Walter 7 mars 2015 at 12:04 #

    Chirac a des lettres, sa formule est un remake de Shakespeare (Hamlet):

    When sorrows come, they come not single spies
    But in batallions.
    Quand les malheurs arrivent, ils n’arrivent pas en éclaireurs isolés
    Mais en bataillons.

  2. Christian Campiche 7 mars 2015 at 15:05 #

    Où es-tu Manu(A)reva?

  3. Schindler 9 mars 2015 at 13:26 #

    Merci Bernard pour cette mise au point savante. Mais le grand Will n’aurait jamais osé utiliser l’équivalent anglais d’emmerdements : pain-in-the-ass !

Répondre à Schindler

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.