Le jour où l’italien devint l’unique langue nationale


En l’an 2050, Dante Verdi prit conscience d’un double péril. Le problème linguistique helvétique ne découlait pas seulement de l’impérialisme culturel anglo-saxon. Il tenait tout autant à la dictature provinciale du dialecte. Fiction.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Dante Verdi remercia le peuple qui venait de l’élire à la présidence de la Suisse et annonça dans la foulée que l’unique langue officielle du pays serait désormais l’italien. « Siamo tutti italofoni!», scanda à trois reprises le leader bien aimé. Le stade de Suisse archicomble éclata en acclamations.

Répercutant la nouvelle sur les ondes, le speaker de la radio alémanique se fendit d’un sonore «Buongiorno, Signore et Signori, da oggi Vi informiamo nella lingua di Dante». Le double-sens amusa la galerie mais peu d’auditeurs saisirent la pertinence historique de l’allusion. Ils ne tardèrent pas l’apprendre en lisant les hagiographies du guide suprême. Dante Verdi devait son prénom à la passion que ses parents, de modestes agriculteurs de la région de Biasca, en Léventine, avaient nourrie pour la Divine Comédie.

Cet héritage spirituel avait bercé toute l’enfance de Dante Verdi. A l’école, le futur président dut choisir entre le français et l’allemand, l’une des autres langues nationales. Il s’exécuta à contre-cœur, jetant son dévolu sur l’idiome de Goethe. Mais se promit aussitôt de faire changer les choses le jour où… C’est d’ailleurs le français qu’il finira par apprendre le mieux, sur le tas, après s’être inscrit en philo à l’Université de Fribourg. Parallèlement, un séjour à Londres lui ouvrit les portes de l’anglais.

A l’époque peu osaient douter de la vocation universelle de la langue de Shakespeare. Dante Verdi, lui, n’y avait jamais cru un seul instant. Au moment de son intronisation, il mesura son triomphe à la rapidité avec laquelle les burocrates promirent de mettre en œuvre son grand dessein, l’italianisation du pays.

Pour que les politiciens se mettent d’emblée au diapason, les textes juridiques furent systématiquement édités en italien. Véritable institution du parlement fédéral pendant près de deux siècles, les traducteurs en perdirent leur… latin. Ils se reconvertirent en scribes au service de la propagande. Le budget fédéral économisa des millions grâce à l’uniformisation des véhicules identitaires de l’information.

A l’étranger, l’image de la Suisse connut un gain remarquable. Des quatre langues nationales appartenant désormais au passé, l’italien était la plus populaire, celle que l’on identifiait le moins à une oppression récente. D’une certaine manière, l’Europe, voire le monde, n’étaient jamais sortis de l’empire romain dont se réclament les italophones. Le peuple revendiquait du pain et des jeux, les guerres alimentaient le quotidien lointain, seuls changeaient les borborygmes de velus barbares.

Du haut de son Olympe, Dante Verdi mesurait les progrès accomplis dans la lutte contre l’anglicisation de la Suisse et de la planète. L’aversion que lui inspirait l’anglais, il l’avait développée depuis ce voyage en train entre Bellinzone et Altdorf. Déclarant ne pas savoir le français, encore moins l’italien, le contrôleur des CFF n’avait pas souhaité s’exprimer en Hochdeutsch non plus. La conversation s’était déroulée en anglais. Ce jour-là, Verdi prit conscience d’un double péril. Le problème ne découlait pas seulement d’un impérialisme culturel, importé du consumérisme anglophone. Il tenait tout autant à une dictature locale, le provincialisme du dialecte.

Episodiquement, des Suisses issus d’une minorité avaient tenté de secouer le joug. En 2014, le député tessinois Marco Romano s’était adressé au Conseil fédéral en des termes provocants: “Faut-il modifier l’article 4 de la Constitution et faire du suisse-allemand une langue nationale en lieu et place de l’allemand?” Le gouvernement avait répondu par une lapalissade et on en était resté là.

Quand Dante Verdi se jura d’éradiquer l’allemand officiel, il y parvint au-delà de ses espérances. Du Bodan à la Sarine, les habitants s’adaptèrent à une langue qui ne les empêchait pas de parler la leur. Tout autre, en revanche, fut le résultat dans la partie occidentale de la Suisse. L’élimination de la langue d’oïl s’avéra un noeud impossible à dénouer pour le petit père de la Suisse, allant jusqu’à provoquer la chute du tyran. Dante Verdi avait tout simplement oublié que la Suisse romande ne pratiquait plus son patois depuis longtemps. Le français jouait véritablement son rôle de langue véhiculaire. On ne pouvait en dire autant pour l’italien au Tessin où le dialecte s’emploie couramment dans les vallées, voire au coeur des métropoles.

En 2060, prisonnier de ses contradictions, Verdi fut chassé de Berne. Pour lui succéder, le peuple choisit un Romand, Jean Molière. Ce dernier imposa le français en tant que seule langue nationale.

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Un commentaire à “Le jour où l’italien devint l’unique langue nationale”

  1. Pierluigi 13 mai 2015 at 11:00 #

    Une petite remarque: Biasca ne se trouve pas en Léventine, mais dans la Valle Riviera. La frontière sud de la Léventine se trouve à nord de Biasca. Ce n’est pas facile pour un non-tessinois car Leventina et Riviera sont deux segments de la même vallée du Tessin. Cependant la frontière entre les deux est claire.

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