«Mon royaume pour une tombe»


Les Anglais ne font jamais les choses comme tout le monde. 530 ans après sa mort, ils enterrent en grande pompe leur roi le plus haï, Richard III.

PAR MARC SCHINDLER

Un tyran sanguinaire, assassin de ses neveux, jaloux de son frère, usurpateur du trône. Richard est un affreux bossu qui se décrit lui-même comme «mal façonné» et «déformé, inachevé», incapable de faire le beau devant une nymphe impudique aux pieds légers. Richard III? Mais oui, c’est le roi qui hurlait: «A horse! A horse! My kingdom for a horse!». «Un cheval, un cheval! Mon royaume pour un cheval!» au cinquième acte de la tragédie de Shakespeare, avant de mourir massacré par ses ennemis à la bataille de Bosworth, en 1485. Bref, un souverain affreux auprès duquel le cruel Louis XI passerait presque pour un roi débonnaire.

Sa mort a été comme sa vie: une tragédie. Le grand philosophe et homme politique Thomas More l’a décrite comme un «spectacle misérable», son corps «écartelé comme un veau, la tête et les bras pendant d’un côté de son cheval et les jambes de l’autre». Ce jour d’août 1485, Richard a perdu la vie, sa couronne et la dynastie des Plantagenêts. La dépouille sanglante du roi Richard a été enterrée à la hâte, nue, sans cercueil, dans une église qui a été détruite en 1585. Au XVIIe siècle, personne n’a pu retrouver la tombe royale. Ce n’est qu’en 2012 que son squelette a été retrouvé sous un parking, à Leicester. Grâce à son ADN, comparé à celle d’un de ses lointains descendants, et à la datation au carbone 14, les experts sont formels: le crâne et les ossements sont bien ceux du roi maudit.

Dimanche 22 mars 2015, le roi Richard III, le dernier des Plantagenêts, a été enterré avec tous les honneurs, à Leicester, après une parade royale devant des centaines de milliers d’habitants, dont certains lançaient des roses blanches en direction du cercueil. Le maire a présidé «la réception des restes du roi Richard III par la grâce de Dieu, roi d’Angleterre et de France et seigneur de l’Irlande». Le duc de Gloucester, qui porte le titre détenu autrefois par le roi Richard, représentait la famille royale, «comme si la tragédie de Bosworth et le changement de régime ne s’était jamais produits, lorsque la couronne tombée de la tête sanglante de Richard a été placée sur celle de Henry Tudor». Parmi les invités de marque, Michael Ibsen, un Canadien vivant à Londres, le 16e grand-neveu du roi Richard, dont l’ADN a permis d’identifier le squelette royal.

Mais tout le monde n’a pas succombé à la Richardmania. Des descendants lointains du roi auraient voulu qu’il soit enterré à York, dont la cathédrale a été restaurée à grands frais. D’autres, comme Paul Lay, éditeur du magazine “History Today”, a décrit Richard comme «l’un des pires monarques britanniques, un usurpateur qui a ordonné le meurtre d’enfants» et a posé la question qui fâche: «que célèbre-t-on?» Dans “The Telegraph”, un lecteur commente sans illusions: «À cette époque, tous les rois étaient des traîtres et des meurtriers. En quelque sorte, c’était une partie du métier. Le pouvoir changeait de mains ou était détenu par des règles semblables à celles de la mafia. Le plus impitoyable et le plus violent gagne. Toute tyrannie est ainsi».

Cette quasi-canonisation pour un roi détesté révèle notre fascination morbide pour la mort des rois et le culte des saints au Moyen-Âge, quand on touchait les ossements sacrés pour être guéri. Selon “The Guardian”: «Le tintamarre à propos de l’enterrement du roi suggère une nostalgie malsaine pour notre passé royal et ne rend pas service à une jeune société multi-ethnique». Après tout, Leicester a d’autres grands hommes à célébrer, comme Tomas Cook, l’inventeur du tourisme moderne, où George Fox, le fondateur des Quakers. Et “The Guardian” d’enfoncer le clou: les funérailles extravagantes du roi Richard «peuvent attirer les touristes et aider à vendre des dramatiques télévisées en costume, mais elles perpétuent l’image d’une nation obsédée par son passé royal, par le royaume de fantaisie de Ruritania, fondamentalement hors contexte. Il est difficile de voir pourquoi les étrangers viendraient dans ce pays pour rechercher l’innovation technologique et le dynamisme industriel».

530 ans après sa vie scandaleuse et sa mort ignominieuse, que le roi Richard repose en paix à Leicester et qu’il oublie son rêve funeste à la veille de sa dernière bataille, selon Shakespeare: «De par l’apôtre Paul, cette nuit des fantômes/ Ont mis plus de terreur dans l’âme de Richard/ Que dix mille soldats réels ne pourraient le faire».

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