Dentistes, l’empire contre-attaque

Dans un grand et généreux mouvement citoyen, les 41000 dentistes français lancent une pétition: «L’Ordre National des Chirurgiens-Dentistes et l’ensemble des praticiens demandent que soit organisé un Grenelle de la Santé Bucco-Dentaire, un grand débat national réunissant toutes les parties prenantes de la santé bucco-dentaire, dont les patients, pour en redéfinir le modèle social et économique». 

PAR MARC SCHINDLER, Alès

«Un Grenelle de la Santé Bucco-Dentaire», ça a de la gueule, on se croirait revenu en mai 68! Quand il s’agit de défendre leur bout de gras, les lobbies médicaux et leurs gourmandes agences publicitaires ne manquant jamais d’imagination.

Mais que demandent donc les chevaliers de la fraise? Ils sont inquiets parce que leurs patients ne sortiront plus leur carnet de chèques pour payer leurs coûteux soins (tiers-payant), parce qu’ils pourront leur demander combien coûtent les prothèses facturées à prix d’or et enfin parce que les réseaux de soins iront «à l’encontre de l’indépendance professionnelle et de la liberté de choix par les patients de leur praticien». Il y a vraiment péril en la demeure! Et les dentistes, sous le martial slogan: «Non à l’abcès aux soins!» revendiquent: «Les chirurgiens-dentistes veulent pouvoir soigner tout le monde sur l’ensemble du territoire! Les patients doivent pouvoir choisir leur chirurgien-dentiste! Les chirurgiens-dentistes doivent rester indépendants dans leurs choix thérapeutiques!» En clair: l’empire contre-attaque.

On compatirait à la misère de l’empire bucco-dentaire, si le « Figaro », pas vraiment un journal gauchiste, ne publiait pas une édifiante enquête sur les revenus des dentistes. Pas une enquête partisane, non, elle émane de la Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et sages-femmes (CARCDSF). En 2013, «les chirurgiens-dentistes libéraux ont perçu en moyenne 92567 euros». Pas si mal, quand le revenu net moyen des Français atteignait 28944 euros, en 2013, selon la Sécu. «16,5% des chirurgiens-dentistes ont touché moins de 38.040 euros et 10,3% ont gagné plus de 190.200 euros». On a connu plus malheureux!

La parole est à la défense. Les dentistes expliquent qu’ils font de longues études, que l’équipement de leur cabinet peut coûter jusqu’à 200000 euros et que 65% de leur activité (caries, détartrage et extraction de dents) sont facturés à des tarifs fixés par la Sécu qui n’ont pas augmenté depuis 27 ans. Mais ces soins de base ne représentent que 35% du chiffre d’affaires des dentistes. Pour faire tourner leur cabinet, ils sont donc obligés de facturer au prix fort les soins les plus rentables, comme les prothèses. «Et voilà pourquoi votre fille est muette» , aurait dit Molière.

Le problème, c’est que la Sécu rembourse toujours aussi mal les soins dentaires: une prothèse remboursée 107,50 euros, alors que le dentiste la facture plusieurs milliers d’euros. Les patients font appel à leur complémentaire santé pour financer leurs dents: «La dépense dentaire des complémentaires santé est passée de 0,6 milliard à 4,6 milliards d’euros entre 1991 et 2013. De son côté, en 1991, l’AMO remboursait 1,82 milliard d’euros de soins dentaires contre 3,7 milliards d’euros en 2013. Le reste à charge des ménages oscille entre 2,12 et 2,2 milliards d’euros entre ces deux périodes, soit il demeure stable». Plus de 2 milliards pour sauver ses dents. La santé n’a pas de prix, mais elle un coût!

Si on a bien compris le lobby des dentistes, si les soins sont si chers, c’est parce que la Sécu rembourse mal. Pas parce que les honoraires sont trop élevés. Sur le site «Sauvons nos dents», l’empire bucco-dentaire annonce la couleur: «Stop au désengagement de l’Assurance Maladie. Il faut un réinvestissement massif de l’Assurance Maladie dans les soins préventifs, conservateurs et chirurgicaux. Des soins qui, effectués régulièrement, réduiraient pour beaucoup la nécessité de recourir à des actes prothétiques.» En clair, si la Sécu remboursait mieux le détartrage et l’extraction de dents, les dentistes ne seraient pas obligés de sur-facturer les prothèses. C’est d’une logique imparable!

En pour être bien compris, les dentistes brandissent leur éthique: «Sans confiance, pas de transparence, ni de possibilité de pratiquer un exercice médical efficace. Face aux dangers qui menacent les choix thérapeutiques et la qualité des soins prodigués, la profession souhaite redonner de la valeur à l’engagement de confiance qui lie patients et praticiens». C’est étonnant, cette habitude des lobbies de brandir les grands principes pour défendre leurs intérêts! Ah, tout a bien changé depuis 1973, quand la BNP osait ce slogan provoquant: «Pour parler franchement, votre argent m’intéresse».

 

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