Ainsi donc, près de deux siècles et demi après son voyage historique, la copie de la frégate du XVIIIe siècle «Hermione» vogue vers les Etats-Unis.
PAR MARC SCHINDLER
En 1780, le fier navire de guerre emmenait le jeune marquis Lafayette au secours des insurgés américains contre l’Angleterre, contre l’avis du roi de France. Celui qui allait devenir un héros français de l’indépendance américaine avait 20 ans et rêvait de gloire militaire et d’un grand destin. Grâce à ses amitiés franc-maçonnes et l’appui de Benjamin Franklin, Lafayette devenait aide de camp du général Washington, le futur président. Il combattait bravement pendant la guerre contre l’Angleterre et il convainquait finalement Louis XVI de soutenir les révolutionnaires américains contre la perfide Albion.
En Amérique, c’est un héros national. En France, on a un peu oublié son rôle dans la Révolution française. L’ambitieux marquis a traversé la tourmente révolutionnaire, l’Empire, les règnes de Louis XVIII et de Charles X et s’attaquait à celui de Louis-Philippe quand il mourut. On a surtout retenu qu’il avait essayé de faire fuir Louis XVI à Varennes et qu’il avait été considéré comme un traître pendant les guerres révolutionnaires et finalement sauvé par Napoléon en 1797. A sa mort, en 1823, Lafayette a été enterré dans le cimetière privé de Picpus, où reposent les 1300 victimes de la guillotine, aux côtés de ses parents victimes de la Terreur. Le drapeau américain flotte sur sa tombe et, le 4 juillet 1917, le représentant des Etats-Unis lançait la fameuse formule:«La Fayette nous voilà!».
Pourquoi la France a-t-elle eu l’idée folle de construire à l’identique une frégate historique pour un marquis un peu oublié de l’amitié franco-américaine? C’est une histoire de passion que raconte le « Monde »: c’est l’ancien maire de Rochefort qui a eu l’idée de lancer ce chantier en 1997, que j’avais visité. Pendant 17 ans, charpentiers, forgerons, ébénistes, gréeurs et voilières ont construit ce chef-d’œuvre de l’art naval. Même si «dans la cale se cachent un groupe électrogène et deux gros moteurs électriques, des congélateurs, des réserves d’eau, des bacs à déchets: le peu de confort moderne indispensable pour éviter le cauchemar des traversées d’antan dans la promiscuité, l’humidité et la maladie.» Huit ans de retard et un coût de 26 millions d’euros, financé par la ville de Rochefort, le département, la Région et la vente de billets pour visiter le chantier.
Une coûteuse folie: «La maintenance à terre est considérable. Ainsi, le bateau doit être quasi intégralement repeint chaque année. Au total, maintenir en état de naviguer l’Hermione coûte près de 800 000 euros par an. Tout cela pour sortir tous les deux ou trois ans. Des sorties évènements évaluées autour de 2 millions d’euros chaque et qui doivent s’autofinancer. Le port d’accueil doit payer 75 000 euros par jour, comme La Rochelle, Bordeaux ou Brest pour faire la fête à la frégate.»
L’aventure américaine va coûter plus de 3 millions d’euros. «Après une escale aux Canaries, la frégate atteindra Yorktown, en Virginie, le 5 juin. Puis elle remontera la côte, New York le 4 juillet pour la fête de l’indépendance, Boston le 11, le Canada, Saint-Pierre-et-Miquelon, avant le retour à Brest en août.» Il a fallu constituer et entraîner un équipage de 80 marins, dont 20 professionnels et 60 volontaires, qui ont dû apprendre à laver le pont, à calfater, à grimper dans la mâture à 40 mètres de haut pour carguer les voiles et à vivre à la dure pendant des semaines de mer. Les médias français ont envoyé leurs correspondants couvrir l’événement, certains ont même été embarqués. Ils ont tous fait le portrait des valeureux volontaires du grand large. Personne ne sait ce que deviendra Hermione à son retour des Etats-Unis en août. Il y a des projets d’animation, mais personne ne sait qui les financera.
Malgré la pluie, 40 000 curieux sont venus voir le départ de la célèbre «frégate de la liberté», selon le bon mot de François Hollande, présent sur le pont, qui n’a pas manqué de tirer la couverture à lui: «C’est une journée historique qui délivre un message: celui de la volonté. (…) S’il y avait encore des gens qui pensaient que rien n’était possible en France, s’il y avait encore des sceptiques qui ignoraient que la passion pouvait renverser tous les murs, s’il y avait encore des aveugles qui prétendaient qu’il était vain de rêver, cette journée est la meilleure réponse que la France pouvait leur apporter.»
Hermione, c’est le symbole de la France qui gagne. Un symbole précieux quand la popularité du président dégringole, quand le chômage explose, quand le débat sur le renseignement et la lutte contre le terrorisme divise les Français, quand les querelles du clan Le Pen font ricaner. Enfin, une bouffée de nostalgie sur la grandeur de la France. Cocorico, «Hermione nous voilà».