Le monde de la finance marche sur la tête.
PAR LILIANE HELD-KHAWAM
Nous avions les banques qui créent de la monnaie grâce à nos dettes. Il y a quelques semaines, la BNS annonçait qu’elle ponctionnerait nos dépôts bancaires. Et aujourd’hui nous avons la Confédération suisse qui émet des emprunts obligataires sur 10 ans avec un rendement négatif. Enfin, en même temps l’Etat mexicain s’endette en euros sur 100 ans!
Qui dit mieux? Des emprunts à vie? Pourquoi pas? En tout cas, la crise a bon dos. Austérité, confiscation et peut-être la fin de la propriété privée cohabitent avec l’euphorie, l’enrichissement illimité, le siphonnage du patrimoine local par le marché financier mondial avec la bénédiction d’autorités devenues complices.
Il faut le dire haut et fort. Cette crise pour laquelle le citoyen et les entreprises locales n’en finissent plus de laisser emplois et chemise est une assise sur laquelle prospèrent des marchés financiers partis à la conquête de la planète. Le marché des obligations d’Etat est une clé de voûte de cet enrichissement systématique et le rendement négatif des emprunts y contribue…
Le marché obligataire est l’investissement préféré des Caisses de pensions et des assurances-vie qui sont la pierre angulaire des investisseurs de longue durée. Poser des rendements obligataires négatifs après avoir imposé les dépôts bancaires par un taux d’intérêt négatif revient à s’en prendre directement à nos retraites. On cherche à les rabattre vers des marchés plus spéculatifs et surtout celui des actions s’ils veulent gagner de l’argent et survivre…
Les gouvernants répètent à l’envi leurs difficultés à gérer la crise ambiante mais les bourses de New York, Francfort et Zurich connaissent une formidable plus-value depuis 2008. Comment font-elles alors que la paupérisation s’installe? Elles spéculent toujours plus et toujours plus vite. De puissants logiciels de trading de haute fréquence sont là pour maximiser encore et toujours leurs gains.
Wall Street va distribuer 1000 milliard de dollars en dividendes pour l’année 2014 mais pendant ce temps, les acteurs locaux qui n’ont pas accès au marché financier mondial dépérissent. Ils sont séchés sur place par une concurrence sur-vitaminée par les largesses du marché financier mondial et une production exotique à bas coûts, voire esclavagiste. Impossible de faire le poids.
Les prix dégringolent toujours plus entraînant avec eux marges bénéficiaires, niveau salarial et pouvoir d’achat. Cela s’appelle «déflation». Tout économiste cherche à l’éviter. Nos banques centrales qui ont pour mission de maintenir une progression des prix à + 2% par an sont en échec. La déflation est très grave dans la mesure où elle exprime l’assèchement de la masse monétaire de proximité, locale. Elle contraste fortement avec l’euphorie et la pléthore de liquidités du marché financier international. Nous sommes bel et bien devant un double circuit financier.
Des ressources illimitées pour les uns. Une austérité et une confiscation du patrimoine pour les autres. Un chiffre seul illustre cette aberration: près de 50 millions d’américains sur 300 bénéficient de «food stamps», l’équivalent de la soupe populaire… En Suisse aussi la paupérisation ne cesse de progresser. Les personnes âgées en sont les principales victimes. Le taux de pauvreté des plus de 65 ans peut atteindre les 18% alors que celui de ceux qui sont à risque de le devenir va jusqu’à 29%… Ce sont donc 47% des plus de 65 ans qui flirtent avec la pauvreté une fois à la retraite.
Cette situation financière et économique schizophrénique entre les bénéficiaires des marchés financiers et le simple citoyen s’est installée de manière structurelle. La gouvernance publique soumise au puissant feu roulant du lobbying de la finance mondialiste a réussi à légaliser un spectaculaire double-circuit financier. L’un déborde de liquidités qui se multiplient sans aucun mérite ni contrepartie connus. Il nage dans une abondance surréaliste et voit exploser sa croissance par des bénéfices jamais égalés. Il est transnational. Son indicateur est cette bourse flamboyante, extravagante et sans base réelle ou réaliste.
Les banques centrales avec leurs assouplissements quantitatifs, la défense du taux-plancher et autres pratiques boursières sont pour beaucoup dans cette flambée boursière doublée de spéculation endémique. Elles nourrissent copieusement ce circuit transnational par une stratégie qui lui est systématiquement bénéfique.
L’autre circuit est régional, ou local. Il est réservé au fruit du travail des individus et des PME/PMI. Il est lié à l’économie réelle de proximité. Ce canal financier est asséché, miné par une gouvernance publique déflationniste. Il inclut des établissements financiers qui n’ont pas bénéficié du label «too big to fail». Il est soigneusement siphonné au fur et à mesure des crises provoquées par le premier circuit transnational.
Pourtant c’est le circuit financier local et national qui donne la crédibilité et la consistance au transnational. Ce sont les excédents des balances de paiement des pays, l’épargne en réserve et les capitaux de retraite qui font que la haute finance va courtiser ou pas un pays X. Quelqu’un a dit un jour qu’un pays comme la France qui bénéficie de rendements obligataires très avantageux profitait encore de la garantie offerte par l’épargne du peuple.
La Suisse qui dispose de centaines de milliards d’excédents de balance de paiements, de 700 milliards de capitaux de retraite et de non moins importantes épargnes intéresse particulièrement les marchés financiers. Dans un timing parfait, le Conseil fédéral a assoupli l’Ordonnance sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité juste avant d’envoyer le signal fort sur le rendement négatif obligataire à 10 ans devenu une impasse.
Ce circuit financier mondial, véritable table de casino géante a pourtant un talon d’Achille. Le peuple. Il n’est strictement rien sans lui. Que celui-ci se rebelle, qu’il retire son argent des banques, qu’il fasse la grève des impôts ou qu’il dénie la reconnaissance de la monnaie bancaire et c’est tout le système qui s’écroule…
Merci, chère collègue de la Méduse, pour cet article extraordinaire. Tout ça me dépasse complètement, mais je suis bien convaincu depuis longtemps de l’extrême perversité du système. J’adhère entièrement à votre conclusion. C’est un raccourci saisissant, mais l’Histoire est parfois contrainte de procéder par raccourcis.
Je me joins aux encouragements de mon préopinant, si j’ose dire la Méduse étant une merveilleuse agora… En effet, vos articles sont lumineux par l’éclairage qu’ils apportent du fonctionnement occulte de cette jungle financière, où ombres et brouillard règnent en maître. Merci à vous!
La pire perversité du système, c’est que le peuple en est l’otage avec ses fonds de pension investis à la bourse.
Mais le peuple se laisse endormir par la messe du 19h30 de Darius ou autres sollicitations sur tout écran …
Merci infiniment pour vos messages qui me vont droit au coeur!
Je viens de parcourir un livre tout neuf de Philippe Val, intitulé « Malaise dans l’inculture ».
C’est, entre autres, un véritable pamphlet à la gloire de l’argent et des riches. Il voue aux gémonies tout ce qui va dans le sens de la critique du système financier d’aujourd’hui.
« Vae victis », disaient les Romains dans l’Antiquité, Val dit aujourd’hui « Vae pauperibus », malheur aux pauvres.
On incite les gens à croire tout et son contraire. Val, ayant dirigé Charlie Hebdo durant 17 années, ce ne peut qu’être un homme respectable. Or il se trouve que le livre de ce monsieur est un chapelet d’horreurs. Alors à l' »homme de la rue », difficile de reprocher de ne pas tout comprendre. La tâche d’un intellectuel digne de ce nom, c’est d’essayer de se faire honnêtement et sans relâche l’avocat des justes causes.
@Bernard, vous dites « ’essayer de se faire honnêtement et sans relâche l’avocat des justes causes ». Notre société est vraisemblablement tellement polluée par le culte de l’argent et ses ambassadeurs que les valeurs des causes aussi grandes soient-elles ne semblent plus faire le poids. Un financier m’a dit un jour les yeux dans les yeux: »tout a un prix »… Ca résume l’ambiance…
@ Liliane Ca ne fait plus le poids, c’est tout à fait certain. Mais ça ne fait rien,on continue. Répandre du vrai autour de soi, pour moi, c’est comme une nécessité, plus importante que tout le reste, et ça me fait du bien de ne pas vivre dans le mensonge, les excuses et les fausses réponses. C’est ce que fait un Chomsky, constamment, et il le fera jusqu’à sa mort.
Votre financier, tant pis pour lui, et tant pis pour son âme.
@Bernard, mon financier avait des croyances perverties… J’ai fait mienne une petite phrase (verset): « La Vérité rend libre »…
Merci pour votre article. Il faut aussi ajouter que les entreprises multinationales qui profitent de ce système sont souvent exonérées d’impôt … et trouvent des astuces pour en payer le moins possible. Et que les actionnaires qui encaissent ces dividende de xxx milliards (1000 miliard en 2014 d’après votre article) sont ceux qui recherchent tous les moyens possibles permettant de frauder le fisc. De plus, en Suisse, les Autorités ne font strictement rien pour entraver l’action des fraudeurs suisses du fisc.
Voilà un article très intéressant et votre avis concernant cette idée m’intéresse vivement: http://www.lematin.ch/economie/islande-veut-revolutionner-systeme-monetaire/story/11026877
Il faut aussi savoir qu’en Suisse une initiative dite « monnaie pleine » est en cours (recherche Google). Cette initiative propose la même chose que cet économiste islandais.
Meilleures salutations.
@Michèle, Merci pour votre message auquel je répondrai en 3 temps:
1.- Les multinationales qui comptent sont des firmes transnationales. Elles sont plus puissantes que les Etats. Elles leur font d’ailleurs la concurrence en matière de pouvoir politique. D’où la présence massive de lobbies sous la Coupole mais aussi à Bruxelles, Washington,…Quid du futur de la démocratie?
2.- La fiscalité est un sujet à 2 facettes. Quand une personne physique cherche à éviter de payer les impôts cela s’appelle de l’évasion. Quand c’est une transnationale qui le fait on parle d’optimisation. Le fond est le même mais les appellations et donc les sanctions varient.
3.- La situation islandaise est différente de Monnaie pleine. La banque centrale Islandaise appartient à l’Etat islandais. Je ne lui ai pas trouvé un conseil d’administration comme en a la BNS. Celle-ci est cotée en bourse et a sous-traité ses processus de logistiques à une organisation formée par des banques privées…. Elle n’est contrôlée que par un auditeur privé américain… 2 situations incomparables…
Je voterai pour monnaie pleine par principe mais reste sceptique quant à sa portée réelle.
@ A Liliane et pour tous ceux qui le veulent bien.
C’est vrai: La Vérité rend libre
A Mme Liliane Held-Khawam: Merci pour vos explications. Concernant l’évasion fiscale, je crois que la Suisse a signé les conventions de l’OCDE en mars 2009 qui ne font plus de distinctions entre fraude et évasion fiscales. Au lieu d’utiliser le terme évasion fiscale, je préfère le mot fraude fiscale. Un chat est un chat … Ce qui ne change rien au fait que le fisc des cantons suisses ne fait strictement rien pour rechercher les fraudeurs suisses du fisc. J’ai constaté que la justice en Suisse ne traite les affaires financières que lorsqu’ils y sont obligés par la pression internationale.
Exemple: Swissleaks. Le Ministère public de la Confédération et celui du canton de Genève étaient au courant des faits effectués par HSBC à Genève depuis janvier 2010, mais les procureurs n’ont pas bougé avant février 2015 … Il va être intéressant de connaître le résultat de l’enquête en cours …
Voilà une petite nouvelle positive. C’est un grain de sable, mais je rêve qu’il enraye la machine infernale: http://www.tdg.ch/economie/Un-patron-reduit-son-salaire-et-croule-sous-les-clients/story/29484471
Meilleures salutations.