La déflation frappe la Suisse depuis 2011… la BNS en échec


La stabilité des prix. Voici un thème cher aux pays dits riches.

PAR LILIANE HELD-KHAWAM

Que les prix bougent vers le haut ou vers le bas et toute la stratégie de gestion du patrimoine mais aussi des entreprises change. Un pays qui offre une stabilité de ses prix et de la valeur de sa monnaie attire les investisseurs et les retraités.

La maîtrise du niveau des prix a été confiée dans les pays occidentaux aux banquiers centraux. Ainsi la banque centrale suisse a légalement pour mission le mandat suivant :

«En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse (BNS) conduit la politique monétaire du pays. Conformément à la Constitution et à la loi, elle doit se laisser guider par l’intérêt général du pays et donner la priorité à la stabilité des prix en tenant compte de l’évolution de la conjoncture. Elle établit ainsi une condition fondamentale pour l’évolution de l’économie.»

Ainsi la BNS définit clairement ce qu’elle entend par prix stables. Le but étant d’éviter une hausse des prix autrement appelée inflation ou au contraire leur baisse qu’est la déflation.

«La stabilité des prix est une condition importante de la croissance et de la prospérité. L’inflation et la déflation entravent par contre le développement de l’économie: elles compliquent la prise de décisions pour les consommateurs et les producteurs, conduisent à une mauvaise allocation de la main-d’oeuvre et du capital, provoquent une redistribution des revenus et des richesses, et pénalisent les acteurs les plus faibles sur le plan économique. La BNS assimile la stabilité des prix à une hausse annuelle des prix à la consommation inférieure à 2%. La déflation, c’est-à-dire une baisse durable du niveau des prix, est elle aussi contraire à cet objectif. Une prévision d’inflation à moyen terme sert de principal indicateur pour les décisions de politique monétaire.» 

Les grandes banques centrales visent une inflation de 2%.

Relevons dans la définition ci-dessus de la BNS une information surprenante. La stabilité des prix équivaut à une hausse des prix de 2%. Nous nous serions attendus à un 0%.

Il semblerait en fait que les actuelles banques centrales qui comptent se soient entendues sur cette progression de 2% des prix comme référence à la stabilité des prix. Une hausse de 2% des prix est aussi un idéal défini pour la BCE et pour la présidente de la Réserve fédérale qui a récemment déclaré ceci:

«L’inflation des USA est encore inférieure à l’objectif de 2% de la Commission… il faut donc continuer à faire preuve de volontarisme pour améliorer encore la situation de l’emploi et favoriser un retour de l’inflation vers un taux de 2% à moyen terme».

Bref, la BNS n’a fait que copier les objectifs de ses collègues et a décidé qu’une dégradation des retraites ou de votre épargne de 2% chaque année pouvait être considérée comme normale.

Mais qu’en est-il de l’évolution des prix? Les chiffres de l’évolution des prix à la consommation suisses de ces dernières années nous montrent que non seulement la Suisse n’atteint pas les 2% mais que par rapport à l’année 2010, il y a déflation de manière claire et constante.

Le résultat est édifiant! Les prix dégringolent depuis 2010. La tendance est confirmée même si d’un mois à l’autre il y a de légers redressements.

Où est la masse monétaire créée par la BNS?

Le couple inflation-déflation est au centre de toute politique économique et monétaire avec pour objectif d’éviter l’un comme l’autre… Le rôle de la BNS est donc central dans cette thématique.
Or, le bilan de la BNS s’est – ces dernières années –  hypertrophié avec une intensité particulière dès septembre 2011, date de l’arrimage du franc suisse à l’euro. La croissance de son bilan a théoriquement multiplié la masse monétaire par 10 depuis 2005 et par 5 depuis 2011 (500% en 4 ans et 2 mois) et une règle en économie appelée «théorie quantitative de la monnaie» lie l’évolution des prix à celle de la masse monétaire et sa vitesse de circulation. Nous aurions dû retrouver au mieux de l’inflation et au pire de l’hyperinflation.

Mais quelle n’est pas la surprise de constater que rien de tel ne s’est passé. Plus fort encore, plus le temps avance, plus les écarts se creusent entre les objectifs de la BNS et la réalité des prix.

La Suisse est au contraire entrée en déflation au moment où la BNS a intensifié l’usage de sa «planche à billets».

Quelque chose est faux. Ou les chiffres de l’IPC sont faux ou le bilan – «planche à billets»  de la BNS est faux. Comme nous imaginons bien que les deux sont justes, cela signifie obligatoirement que la BNS assèche par sa politique la masse monétaire locale pour la mettre au service exclusif de l’international. Cette masse monétaire fait cruellement défaut à l’intérieur du pays et met en danger la santé et l’avenir économique collectif et individuel.

Les agents locaux qu’elle représente en tant qu’autorité monétaire nationale (mot présent dans son nom tout de même) sont visiblement spoliés doublement. La première spoliation est due à la dilution du patrimoine collectif auquel appartient le franc suisse et une deuxième en asséchant par TOUS les moyens les capitaux disponibles à l’intérieur du pays qui semblent bel et bien avoir été mis à l’intention exclusive des marchés financiers internationaux hors du circuit national.

La politique monétaire de la BNS est par conséquent mortifère pour l’économie réelle et locale. La déflation est visible mais sujet tabou par excellence, le silence est de rigueur… Quoi qu’il en soit, la BNS échoue dans la réalisation de sa mission de base…

Le blog de Liliane Held-Khawam

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2 commmentaires à “La déflation frappe la Suisse depuis 2011… la BNS en échec”

  1. Aldo Schorno 2 mai 2015 at 15:37 #

    Analyse pertinente de “l’inflation systémique” mise en place par la Fed au début des années 1990 et imitée par toute les banques centrales qui comptent. Or, un objectif d’inflation de 2 % par année (jugé “tolérable” par les acteurs au prétexte des “gains de productivité”) se traduit par une perte de pouvoir d’achat de la monnaie de 21 % sur dix ans!

    C’est le prix à payer (surtout par les épargnants) pour satisfaire l’exigence néolibérale d’une croissance annuelle régulière de la masse monétaire, qui est censée assurer la croissance économique. Cette inflation systémique est dans ce cadre théorique devenue une “nécessité” pour maintenir à flot un système monétaire fiduciaire qui est ancré dans de l’argent-dette créé à partir de rien par le crédit bancaire privé.

    Par conséquent, la masse monétaire au sein de l’OCDE s’est multipliée d’un facteur de 16 depuis 1980, mais la production industrielle n’y a augmenté que d’un facteur de 1.6. La désindustrialisation peut expliquer une partie de l’écart. Ces chiffres indiquent néanmoins que la monnaie créée depuis lors à surtout été destinée à des activités “stériles” en premier lieu (acquisitions-fusions, spéculation financière etc.)

    De même, l’argent injecté si massivement par les banques centrales depuis 2008 – destiné à éviter la répétition d’une “grande dépression” et d’une déflation globale – alimente en réalité toujours surtout la spéculation financière en servant de “réserve de liquidité” au système bancaire. Ainsi, sur l’injection de 1’000 milliards d’euros dans le système bancaire par la BCE en deux tranches en 2011-2012, 776.9 milliards sont revenus directement dans ses coffres sous forme de dépôts à court-terme.

    Force est de constater que la politique néolibérale de nos banques centrales d’argent
    facile depuis les années 1990 et d’argent gratuit depuis 2008 ne fait que créer une
    «trappe de liquidité» – si bien décrite par Keynes – et qu’elle est inapte à combattre
    le spectre de la déflation. Pour ce faire, des mesures économiques et fiscales seules
    constituent une réponse adéquate.

  2. Liliane Held-Khawam 3 mai 2015 at 16:27 #

    Merci pour vos informations très enrichissantes. On peut regretter pour la Suisse que des personnes comme vous ne soient pas aux commandes à Berne…. J’ai découvert la vidéo de votre intervention à la RTS . Remarquable!

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