Radio-TV, psychodrame à la sauce suisse


La Suisse vient de vivre un psychodrame politique qui paraît exotique aux Français.

PAR MARC SCHINDLER

Non, je ne vous parle pas de la FIFA et de ses turpitudes. Y a pas que le foot dans la vie! Je vous parle de la radio-TV publique. Les électeurs helvétiques ont décidé à une majorité de 3000 voix sur 2,2 millions de votants que la redevance radio-TV – l’une des plus élevées en Europe – passera de 460 à 400 francs par an. Surtout, ils ont accepté que tous les usagers passeront à la caisse, puisque les programmes sont reçus sur tous les écrans (TV, tablette, smartphone). Pas de quoi fouetter un chat!

Vous avez tout faux! Les petits patrons helvétiques et les grands groupes de presse ont fait tonner leurs canons pour s’opposer à cette modification de la loi. Pas pour défendre la redevance, mais pour revendiquer une plus grande part du gâteau publicitaire. Il faut savoir qu’en Suisse, la radio-TV est dominée par la Société suisse de radiodiffusion et de télévision (SSR): 17 stations radio et 7 chaînes TV, en quatre langues, 6100 employés, un chiffre d’affaires de 1,65 milliard de francs. «La SSR ne poursuit aucun but lucratif et se finance pour près de 75 % par la redevance et 25 % par ses activités commerciales. Elle est indépendante aux plans politique et économique». Dans le paysage audiovisuel helvétique, il y a la SSR… et les autres. La RTS, la filiale francophone de radio rafle 57% de part de marché et ne laisse que 24% aux radios privées et 10% aux radios étrangères. En TV, c’est une autre histoire: 35% de part de marché pour le service public helvétique, mais 65% pour les chaînes françaises. Selon la loi, les radios et les TV privées suisses ont droit à une part de la taxe.

Evidemment, les centaines de millions de francs de la taxe font saliver les grands groupes de médias. En 2013, la presse ramassait 1,6 millard du gâteau publicitaire, mais les médias électroniques en raflaient 942 millions. Pour attaquer le «monopole» de la SSR, les petits patrons ont lancé un referendum contre la loi avec un argument qui fait mouche: si tout le monde doit payer la redevance, ce n’est plus une taxe, c’est un impôt. Et ils ont brandi l’arme fatale: la défense du service public. «Il ne faut pas étouffer par un monopole d’État le jeu d’une saine concurrence entre les divers fournisseurs de services.» Pourquoi payer une taxe pour des émissions de divertissement, des jeux, des séries et du sport que les sociétés privées peuvent produire avec la publicité? Pour ses adversaires, il faut démanteler le mammouth public, empêcher la SSR de conquérir Internet et réduire son mandat à l’information. La taxe devrait être réduite à 200 francs par an.

Le gouvernement suisse et les dirigeants de la SSR n’ont pas vu venir le tsunami. Ils se sont accrochés au texte de la loi, qui ne prévoit qu’un aménagement de la taxe. Un vote facile pour une simple question technique. Le débat sur le service public, sur la concession que le gouvernement accordera à la SSR, ce sera pour l‘an prochain. La SSR n’a pas pris la peine d’expliquer comment elle utilisait l’argent de la taxe, ou elle l’a fait trop tard. Elle n’a pas su convaincre qu’elle était prête à se mettre en question et à alléger ses lourdes structures. Elle qui recycle les politiciens, elle n’a pas su mobiliser ses relais dans l’opinion. Pathétique, le président de la SSR, un fonctionnaire qui va se lancer en politique, a simplement déploré le mélange des genres, pendant la campagne! Eh bien, c’est un magnifique raté: la loi a passé d’un cheveu, la Suisse est coupée en deux, entre cantons germanophones qui ont dit non et cantons francophones qui ont dit oui.

Les médias suisses sonnent la charge: «Et maintenant, le débat, le vrai». Les adversaires de la SSR fourbissent leurs armes pour un assaut qui s’annonce musclé. Au fond, la vraie question, c’est: est-ce que les Suisses sont prêts à payer pour des médias publics ou préfèrent-ils écouter et regarder gratuitement du sport et du divertissement financés par la publicité? Vraiment, les Suisses ne font rien comme les autres. Vous imaginez, en France, si on demandait aux électeurs s’il faut réintroduire la publicité après 20 heures pour que France Télévision produise des émissions culturelles? Ce sont les grévistes de Radio France, pas les électeurs, qui se sont battus pour «nos valeurs et nos contenus. Il faut préserver à tout prix les fictions, les documentaires et les créations musicales». Résultat: un mois de grève, 4 millions de pertes de recettes et une vague promesse de dialogue social.

La Suisse, comme la France, n’échappera pas à une redéfinition du service public. Il faut écouter Alexandre Brachet, fondateur de l’agence Upian: «La télévision et la radio n’ont plus le monopole. C’est un fait. L’accès à la culture et à l’information se fait désormais massivement par Internet. La mission du service public audiovisuel dans cette configuration? Une formidable opportunité. Internet est un fantastique terrain de jeu pour les auteurs et les créateurs. Internet est l’outil de la relation avec le public et constitue finalement une excellente définition du service public.» Encore faudrait-il que les politiciens comprennent que Internet, ce n’est pas seulement un gadget pour poster des petites phrases sur Facebook ou Twitter!

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