La privatisation est l’enjeu principal du référendum grec

Le psycho-mélodrame grec est parti pour durer un moment encore.

PAR LILIANE HELD-KHAWAM

Le gouvernement actuel n’a aucune intention de quitter la zone euro. Mais plus important encore, il n’a aucune revendication de remise totale ou partielle de la dette et de ses coûts. Quant au Grexit avec lequel les médias ont tenu en haleine le public, il est à oublier. D’ailleurs, de l’aveu du gouvernement actuel, la Grèce aurait détruit son matériel d’impression de la Drachme. Les choses sont de ce côté limpides.

Pourtant, nous sommes intéressés par la crise grecque non pas tant au plan financier mais sur sa portée quant à l’avenir des peuples à s’autogérer. Le développement qui suit renonce aux informations -potentiellement biaisées – diffusées par la presse pour se concentrer sur le référendum du 5 juillet et sur les deux textes publiés et censés représenter les points de vue grec et européen. Le premier est le programme proposé par l’UE dans le cadre de l’accord qui a avorté le week-end dernier. Le deuxième est celui que le gouvernement actuel propose à l’UE et diffusé par le journal « L’Humanité ».

Le référendum du 5 juillet invite le peuple grec à se prononcer sur le programme requis par la Troïka. Si la question semble claire à première vue dans sa formulation, on peut être interpellé sur la capacité d’un peuple non informé à y répondre! La question commence par: «Acceptez-vous le projet d’accord…». Qui connaît le projet d’accord? Qui l’explique? En fait, pour répondre correctement à cette question, il faudrait être totalement informé sur le contenu de ce programme publié en anglais sur le site de l’UE. La question immédiate est: les grecs sont-ils en possession de ces documents? Et si oui, les comprennent-ils? Et si non à quoi sert ce référendum et ce d’autant que selon la Troïka, il ne serait plus valable suite à la rupture des négociations du week-end dernier?

En résumé, il pourrait apparaître que ce référendum relève plus d’un acte de foi – ou pas – en la personne des membres du gouvernement. De ce point de vue, sa portée en est hélas d’ores et déjà biaisée. Voici quelques axes du programme – au demeurant très précis- relevés sur le site de l’UE:

• La réforme de la TVA

• La réforme de la législation fiscale

• la libéralisation de tout le marché, de tous les produits, de tous les services et de tous les métiers.

• La privatisation de tous les secteurs et entités encore en mains de l’Etat.

• La transformation de l’administration publique en entités autonomes selon le modèle cher à Bruxelles.

• La restructuration du système des retraites

La privatisation est l’enjeu principal! La privatisation revient à introduire le monde de la finance dans tout ce qui relève du patrimoine national mais aussi des services publics. Il est important d’insister sur le fait que lorsque des entités publiques sont privatisées, les revenus, impôts et taxes ne rentrent plus dans les caisses publiques mais restent dans l’entité en question. L’Etat est alors privé d’autant de revenus pour ses dépenses dont les coûts de la dette publique… 
Le programme que la Troïka prévoit pour la Grèce est ambitieux puisque TOUT y passe: compagnie ferroviaire, aéroports régionaux, ports, centre de formation pour l’aviation, opérateur de télécommunication…
 Ce programme prévoit aussi la privatisation de la distribution d’électricité, la réforme du marché du gaz…

Pour réaliser ces privatisations au plus vite, il est demandé au gouvernement de transférer actions et feu vert à HRADF. Recherche faite, ce sigle correspond à Hellenic Republic Asset Development Fundest. C’est une société anonyme, propriété de l’Etat grec mais dont le conseil d’administration a une autorité absolue sur toutes les décisions qui concernent la privatisation. 
HRADF a pour mission de transformer et de vendre les biens publics. Elle accueille des observateurs de l’Eurozone et de la Commission européenne, de même que trois des sept « board directors » sont nommés directement par la Troïka.

« L’Humanité » publie le document qui reprend l’intégralité des propositions grecques à la Commission Européenne. Le pauvre Marx doit se retourner dans sa tombe! La gauche supposée dure accompagnée d’une droite supposée nationaliste valide la privatisation des biens publics basée sur une dette dont la grande partie repose sur un droit régalien transmis aux banquiers privés qui les a enrichis de manière illimitée! En fait, l’offre grecque reprend l’ensemble des points européens mais en échelonnant le wagon de pilules amères…

La Grèce est un pays très riche. C’est le premier producteur d’or d’Europe. Mais ce pays est aussi un potentiel producteur de pétrole.
 On imagine d’importants gisements en mer au large de la Grèce. D’ailleurs une importante réserve a été découverte à l’Ouest du pays, qui représente une manne fiscale estimée à 150 milliards d’euros sur 30 ans. On aurait pu imaginer faire-valoir ce genre d’arguments pour préserver un minimum des acquis sociaux pour les plus démunis.

Il est très impressionnant de découvrir le bilan de la Banque de Grèce et de se rendre compte que la banque centrale de ce pays était bénéficiaire en 2014. Elle prête même pour 57 milliards d’euros à des établissements de crédit de la zone euro. On peut supposer que tout comme des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie sont d’importants créanciers de la Grèce, celle-ci dans un système d’imbrication systémique est créancière de pays tiers… S’ajoutent à ces actifs, des actifs hors-bilan de près de 164 milliards. Pas mal tout de même.

L’Etat grec a transféré à la banque de Grèce des avoirs qu’elle gère et qui sont autant de garants de la dette grecque auprès de l’Eurozone.
 Pourquoi ne met-on pas les actifs de la banque centrale sur la balance? Estime-t-on qu’ils sont déjà hors de portée du gouvernement?

Le problème de la Grèce est triple.

1. La Banque de Grèce est totalement impuissante pour venir en aide à son pays. Elle gère le patrimoine des grecs mais est soumise à l’autorité et la souveraineté de la BCE. Et voilà la base du drame des Etats du 21 ème siècle. Des banques centrales qui ont gardé le patrimoine de leur pays d’origine mais qui le gère en totale osmose avec les autres banques centrales et commerciales hors du pays d’origine. On prive volontairement un pays d’une assise fondamentale qui l’empêche de fonctionner normalement. 
Le cynisme est total quand ces banques centrales pratiquent le sauvetage d’autres pays en difficulté.

2. La problématique de la création de la dette publique n’est pas abordée. Cette dette est absolument indue – en tout cas en partie – dans la mesure où on a obligé un peuple à pratiquer le sauvetage de banques qui n’ont pas hésité à spéculer de manière scandaleuse. Pourquoi sauver des établissements privés alors que l’on prétend être adepte du libéralisme? Regardez l’impact du sauvetage forcé des banques sur la dette publique qui se fait avec l’argent du public alors que le peuple n’y est strictement pour rien.

3. Le coût de la dette est insupportable quand on force un pays à renoncer à son autofinancement via sa banque centrale qui elle-même a le droit de pratiquer la planche à billets de manière intensive (via la BCE) pour sauver le marché financier privé et vérolé. De plus, forcer à aller se faire financer sur le marché privé à des coûts exorbitants sans pouvoir négocier est juste une manière de s’assurer de couler un débiteur. On ajoute à tout cela que le marché financier est tout sauf libre et le tour est joué.

Le gouvernement grec actuel se veut défenseur du peuple grec et il n’y a aucune raison de ne pas le croire. Voici toutefois quelques points qui chagrinent:

1. Il n’a pas dénoncé cette dette injuste dans les faits. Il admet que le pays la doit ainsi que ses charges.

2. Il n’a pas dénoncé la politique partiale privée de la Banque centrale qu’il devrait nationaliser.

3. Il admet la privatisation de biens publics que le résultat soit oui ou non le 5  juillet puisque les deuxn textes en présence la prévoient.

4. Il n’a pas dénoncé la création monétaire scripturale injuste et illégitime des banques commerciales qui fausse le fonctionnement économique et financier du pays.

Ces 4 points qui manquent et qui ne sont pas abordés dans le plan peuvent laisser craindre que l’emploi du référendum est un simple blanc-seing que ce gouvernement pourra utiliser en cas de oui ou de non pour mettre en place le démembrement des biens et services publics ainsi que la privatisation de la Grèce. Cela ne semble pas correspondre aux promesses électorales…

Ce gouvernement a probablement raté son rendez-vous avec l’Histoire…

Article complet sur le blog de Liliane Held-Khawam.

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4 commmentaires à “La privatisation est l’enjeu principal du référendum grec”

  1. Pierre-Henri Heizmann 5 juillet 2015 at 07:02 #

    Merci pour cette lumineuse analyse qui une fois encore, nous éclaire dans l’obscurité ambiante.

  2. Schindler 5 juillet 2015 at 07:31 #

    Très intéressante analyse

  3. Christian Campiche 5 juillet 2015 at 09:48 #

    Sur les réserves d’or de la Grèce:
    http://www.ouest-france.fr/grece-denormes-mines-dor-qui-excitent-les-convoitises-etrangeres-3530734

  4. Zimmermann Michel 8 juillet 2015 at 14:10 #

    OXI à plus de 60% ! Le plébiscite dont le premier ministre grec Tsipras avait besoin pour aller « négocier » les plans destructeurs et meurtriers de la Troïka (FMI, UE et BCE) a largement passé la rampe. Et Liliane Held-Khawam a raison quand elle laisse entendre que le maintien de l’euro en Grèce ne peut ouvrir d’autres perspectives que le pillage du pays et sa mise en coupe réglée par une offensive de privatisations généralisée. En ce sens, la balle est plus que jamais résolument sur le terrain de la lutte des classes. Les contradictions du régime de la propriété privée des moyens de production (l’impérialisme en crise) éclatent au grand jour et les conditions objectives prennent le pas sur les conditions subjectives (Marx n’a pas à se retourner dans sa tombe). En Grèce, tout comme en Italie, en Espagne, au Portugal et en France, le « maillon faible » du dispositif de Maastricht, la grève générale se cherche une issue. Si l’euro est le carcan, et les institutions antisociales et antidémocratiques de Bruxelles le bourreau, le temps des illusionnistes qui ont inventé Syriza et Podemos (voire l’improbable Front de Gauche du très médiatique Mélenchon) pour prétendre à une « Europe sociale » dans le cadre des traités et institutions de l’UE est compté.

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