Lecture – “Montbovon”, passion dans les pâturages


Christian Campiche est un journaliste financier né à Budapest de père suisse et de mère hongroise.

PAR ANNE PILLEVUIT

Habitué au monde de l’économie et des médias qu’il relate dans différents ouvrages publiés en Suisse, créateur du Journal en ligne suisse «La Méduse» qui traite également des sujets de santé et d’environnement, il nous livre un roman littéraire et historique qui témoigne d’une sorte de bifurcation dans sa trajectoire d’auteur ou d’un décloisonnement favorisant l’exploration d’intérêts plus intimes.

Sensible aux paysages du Pays -d’Enhaut, il avait envie de mettre en scène un personnage précis et crédible qui les traverserait. Christian Campiche questionne, se documente et investigue auprès des archives cantonales et fédérales et accumule tout un matériel concernant la présence d’internés polonais dans les camps basés en Suisse durant la Seconde Guerre Mondiale. C’est ainsi que naît le Régent. Protagoniste du roman créé à partir de faits historiques avérés ce Polonais nous fait assister aux différents épisodes de son existence de soldat du gouvernement de Pologne en exil combattant du côté des forces françaises avant la capitulation de Juin 40. Il perd son compagnon Grosz à Belfort. Chargé de tristesse et d’une promesse faite à l’ami agonisant il est désarmé par les Suisses puis interné à Büren dans le canton de Berne dans des camps où les règles de vie sont proches de l’univers concentrationnaire.

“Tu as bien fait de mourir, Grosz. Tu n’aurais pas supporté la vue de tes compagnons entassés dans des baraquements surmontés de miradors. Les barbelés, les projecteurs qui trouent la nuit (…) et pourtant on n’était pas en Allemagne mais en Suisse…”. Il reçoit un ordre de marche de la part du commandement régional polonais le conduisant à Gérignoz où d’autres camps existent. Il a pour mission officielle la construction d’une route mais officieusement l’observation de ce qui se déroule dans ce que tout le monde nomme le réduit alpin, à savoir cette région du pays que les Suisses ont transformée en taupinière où il est prévu que tout l’état-major se replie en cas d’invasion. Le Régent découvre l’existence de tout un réseau de circulation de l’or mondial organisé par la Banque des règlements internationaux qui poussée par la crainte d’une invasion allemande s’est installée dans le réduit sous la protection de l’armée suisse. Elle est représentée par des délégués des pays engagés dans le conflit international qui jouissent de beaucoup de privilèges.

Une série d’événements viendront mordre le capital d’idéaux du jeune soldat engagé, solidaire et loyal. Un des grands défis de l’existence étant de perdre nos illusions tout en préservant notre enthousiasme sera relevé, peut-être inconsciemment, par le héros de cette histoire car les forces de vie repliées sur elles-mêmes en ces temps de guerre seront galvanisées par la rencontre de Miette, une jeune habitante de Montbovon. En compagnie de cette femme moderne et libre c’est non seulement des valeurs humaines que le Régent retrouve après avoir été meurtri par les misères qu’engendrent les conflits guerriers mais également le «personnage» omniprésent du roman qui s’offre, à savoir le Pays-d’Enhaut lui-même et par conséquent la nature tout entière. Les jeunes amoureux peuvent y recourir. C’est dans les pâturages ensoleillés et le long du lit de la Sarine que l’amour naît. C’est au grand jour et par belle chaleur que la tendresse, la sensualité et la fraternité s’exposent.

D’historique le roman glisse vers un univers plus intime et pourtant plus total nourri de forces vives et inaltérables. Le temps passant et la défaite allemande se profilant, le Régent est cependant rattrapé par sa loyauté au pays natal et par le besoin d’honorer la promesse faite à son ami. La fidélité à ses valeurs le pousse à revenir dans une Pologne soumise cette fois aux excès du régime totalitaire de Staline. Mais l’ex-soldat ne le sait pas et nous rentrons avec lui habillés de son innocence.

C’est là une grande qualité de l’écriture de Christian Campiche. Ecrire aujourd’hui comme s’il ignorait la réalité politique du moment en question. “Tu as bien fait de mourir, Grosz. Toi l’idéaliste, le communiste de la première heure, que dirais-tu de ces purges dont sont victimes tant de camarades qui ont cru à l’égalité des peuples, engeôlés, fusillés avec l’étiquette ‘d’ennemi de classe’ au terme de mascarades de procès”. Pour la seconde fois dans sa détresse le Régent évoque son ami dont la mort a épargné bien des désenchantements. Cependant un parcours humain revient aussi sur lui-même et cette boucle tend à montrer qu’il est nécessaire de défaire ce qui nous a cependant édifié. Libéré de sa promesse, débarrassé d’idéaux restrictifs mais animé par l’étincelle sauvage qui a lui dans l’ombre du village fribourgeois il se laissera conduire par la main amoureuse de la Vie tant il est vrai que comme le dit Rilke «la nature ne refuse pas le printemps».

L’auteur de ce roman dans une écriture dépourvue de fioriture sait céder la place à un personnage si bien profilé qu’il émerge à la surface des pages et nous fait face. Il nous donne non seulement l’envie de redécouvrir un pays trop connu par le truchement des arguments publicitaires mais nous invite à nous interroger sur les causes qui nous déterminent.

«Montbovon» par Christian Campiche, L’Aire, 2015.

Article paru dans «Le LittérAire», No 23, été 2015. L’auteur dédicacera du 4 au 6 septembre 2015 au Livre sur les Quais à Morges. Il participera à un débat sur le thème «Journalistes mais romanciers» dimanche 6 septembre 2015 à 16h30, Hôtel de la Nouvelle Couronne à Morges.

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