Quand le journalisme mène aussi à la politique

Dans tout journaliste sommeille un politicien.

PAR MARC SCHINDLER, Alès

A force de côtoyer «ces princes qui nous gouvernent», certains de mes excellents confrères se font leur cinéma. Pourquoi est-ce que je ne me lancerais pas en politique? Après tout, je suis plus célèbre que les politiciens, je suis plus intelligent, je parle mieux, je connais souvent mieux mes dossiers. Alors, hein, pourquoi pas moi au Parlement? C’est vrai qu’un journaliste finit par bien connaître le monde politique. Il interviewe ses stars, il connaît leurs petits secrets, il les flatte ou les descend en flammes, il les tutoie, parfois même il les conseille. Au fil des années, le journaliste devient un acteur du théâtre politique. Il se flatte parfois d’avoir «fabriqué» un homme politique grâce à ses articles ou ses émissions de radio ou de télévision. Quoi de plus flatteur pour l’ego du journaliste que la sollicitude du politicien qui vous invite pour que vous parliez de lui dans les médias?

Alors, forcément, le jour arrive où, lors d’un déjeuner, le politicien suggère, en confidence: pourquoi vous ne nous rejoindriez pas? Vous avez l’expérience, vous êtes connu, vous savez convaincre, moi, je vous vois en bonne place sur notre liste de candidats. Ah, la tentation du journaliste! Passer de l’autre côté de la barrière, être acteur plutôt qu’observateur, décider plutôt que commenter, être enfin admis parmi ceux qui ont le pouvoir. Combien de mes confrères ont goûté ce miel, malgré les ricanements de leur amis: toi, député, mais tu prends la grosse tête, non?

Dans ma ville natale, l’ancien rédacteur en chef du principal quotidien se présente en preu chevalier de la démocratie-chrétienne. Il a déjà tous les tics et les ficelles du politicard: il a compris que pour être élu, pas la peine de faire des discours. Il faut se montrer sur Facebook avec des élus, boire des verres avec des people et lâcher quelques vacheries contre ses adversaires. Les réseaux sociaux, c’est l’arme absolue du candidat. Ca ne coûte rien, ça n’engage à rien, ça sert à faire parler de soi. Les grandes idées, les promesses électorales? Les électeurs ne votent pas pour des programmes que personne ne lit. Ils votent pour des candidats qui ont, comme disait Brassens, «une petite gueule bien sympathique».

Mais il ne suffit pas d’être une vedette de la télé pour décrocher la timbale. Il y a quelques années, un célèbre journaliste de la télévision suisse alémanique s’était laissé séduire par un parti de droite. On lui avait alloué 2 millions, un secrétariat et des moyens logistiques pour conquérir un siège au gouvernement cantonal. Il avait découvert qu’en politique, il faut mettre les mains dans le çambouis: aller serrer les mains sur les marchés, parler dans des salles communales à moitié vides, participer à des réunions électorales ennuyeuses à mourir. Il faut aussi convaincre les vieux crabes du parti pas vraiment ravis de voir débarquer un jeune loup aux dents longues. Après des mois de campagne, la baffe: à peine 10% des voix.

C’est vrai que, selon la célèbre formule de l’écrivain Jules Gabriel Janin, au 19e siècle: «Le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir». Il mène aussi à la politique. Il y a des exemples célèbres: Winston Churchill, Benito Mussolini ou René Lévesque, l’ancien premier ministre du Québec. Mais, question prestige, selon le site web CareerCast.com, «le métier de journaliste se classe au 200ème rang sur… 200 dans la liste des meilleurs et des pires emplois de 2013». Le site base son classement sur l’effort exigé, l’environnement de travail, le revenu, le stress et les perspectives d’emploi. Le journalisme n’est pas un métier où on fait fortune. Sauf pour les stars du petit écran, dont certains salaires mensuels dépassent 10000 euros, un rédacteur en chef d’un grand quotidien national gagne 3575 euros par mois et un grand reporter 2356, selon la CFDT Journalistes. C’est vrai que les journalistes peuvent déduire jusqu’à 7650 euros de leur revenu pour frais professionnels.

N’empêche que, comparés avec les politiciens, y’a pas photo ! Les élus de la Nation ont des revenus plutôt confortables: pour un député, 7000 euros bruts par mois, en combinant indemnité de base, indemnité de résidence, indemnité de fonction et indemnité représentative de frais de mandat. Après avoir déduit diverses cotisations, il reste 5148 euros nets. Sans compter une carte de gratuité SNCF en 1ère, les taxis gratuits, 92 vols intérieurs par an, un abonnement Internet, 5 lignes gratuites et un forfait mensuel de 9504 euros pour rémunérer ses collaborateurs (à l’occasion sa femme, ses enfants ou parents). Comme l’affirme mon voisin, s’ils se battent tous pour être élus, faut croire que la paie est bonne! Bien sûr, il y a le risque d’être battu aux élections. Mais un politicien peut toujours compter sur son parti pour se recaser. Pour le journaliste, c’est précaire: les médias fusionnent, se restructurent, licencient.

Alors, pour beaucoup de mes confrères, la politique, c’est moins une vocation tardive qu’une assurance retraite. Et tant pis si les confrères envieux vous traitent de défroqués du journalisme. Je vous rassure: je n’ai jamais eu besoin de céder aux sirènes de la politique!

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