Quand il faut aider les fraudeurs fiscaux, mes compatriotes suisses ont vraiment du coffre.
PAR MARC SCHINDLER
Les ministres des Finances pourchassent impitoyablement les fraudeurs fiscaux qui planquent leur fortune non-déclarée dans les banques suisses. Du coup, pour éviter le pire, les excellents gestionnaires suisses virent leurs clients étrangers: ou bien vous déclarez vos avoirs à votre administration fiscale ou bien on ferme votre compte et vous viendrez chercher vos sous à la caisse. Panique chez les fraudeurs! Voilà que la Suisse accepte de collaborer avec les Américains, les Français et les Allemands pour lutter contre l’évasion fiscale. Où mettre ma fortune à l’abri de la voracité fiscale, si même mon banquier suisse refuse mes sous?
Elémentaire, mon cher Watson, dans des coffres bien cachés. Il y a déjà deux ans que le magazine “Le Point” avait révélé la combine: «Suisse: les fraudeurs ferment leurs comptes et louent des coffres». Au coeur de Genève, à deux pas du célèbre «quartier des banques», la société Safes Fidelity – ce nom enchanteur – offre ses services discrets depuis 1990: des coffres discrets où déposer vos biens en toute sécurité – «documents, bijoux, espèces, métaux précieux, sauvegardes informatiques». Ca ne vous coûtera pas cher: 200 francs suisses par an pour un petit coffre, 10 000 pour un grand, loyer payable d’avance pour 2 ans pour un résident étranger. Le site de l’institution précise même, mais seulement dans sa version anglaise: «Louez ici un coffre-fort, hors du système bancaire». C’est ça, l’argument qui fait mouche! Pas besoin d’avoir un compte bancaire, pas besoin de remplir le questionnaire inquisitorial des banquiers suisses sur l’origine des fonds et leur déclaration au fisc national. Les société de coffres ne sont pas soumises à la Finma, le gendarme helvétique du secteur financier ni à aucune instance de régulation. Que du bonheur!
Le quotidien “Le Temps” révèle qu’une dizaine d’entreprises discrètes offrent leurs coffres aux clients chassés des banques. Comme “Amaree Safe Sàrl”, au modeste capital de 20 000 francs suisses, inscrite au registre du commerce en mars 2013, désormais contrôlée par un Français domicilié dans la campagne genevoise. La société s’est reconvertie. Elle pratiquait le conseil en formation et la gestion en personnel. Elle opère sur le créneau des société de coffres, certainement plus juteux. L’enquête du journaliste suisse ressemble à un roman d’espionnage: «On accède ensuite à un sous-sol gardé par deux interphones, des vigiles lourdement équipés et d’innombrables caméras de surveillance. Le premier interphone, à l’entrée de l’immeuble, relie le visiteur à un gardien. Le second, devant la porte blindée du sous-sol, le met en rapport avec une centrale téléphonique. Il doit lui fournir deux codes pour parvenir aux coffres. Il pénètre ensuite dans les anciens sous-sols d’une banque, fermée depuis. Les coffres qui s’y cachent s’ouvrent avec un système d’identification biométrique.» En Suisse, on ne rigole pas avec la sécurité des clients fortunés!
Mais, comme dit le proverbe, «le diable est dans les détails». Les banques limitent à 10 000 francs suisses les retraits en liquide sur un compte bancaire. Pour récupérer votre fortune, il vous faudra avoir recours à la société PAZ, «consultants indépendants en gouvernance, organisation et compliance», dirigée par deux anciens avocats et banquiers. Des experts de la lutte anti-blanchiment, mais aussi de la «conformité fiscale des avoirs», qui pourront vous conseiller efficacement. La «morale» de l’affaire, selon le “Temps”: «D’abord, il reste beaucoup d’argent non déclaré dans les coffres helvétiques, malgré la fin du secret bancaire et les vagues de régularisation successives. Ensuite, il est difficile de transférer ces sommes vers des places moins regardantes sur le plan fiscal».
Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient tout faux quand ils proclamaient fièrement: les paradis fiscaux, c’est fini! Seuls les gogos gobaient ces promesses. Les banquiers suisses et les dévoués avocats des fraudeurs fiscaux répondaient à mi-voix: cause toujours!
Mais n’en va-t-il pas de même en France?
Dans l’Hexagone, faut-il déclarer scrupuleusement à son loueur de safe ce qu’il contient?
Finalement est-ce que la Suisse applique un particularisme en matière de gestion de ses coffres ou tout simplement que la sécurité générale de ce pays est pour le moment, Ô combien plus rassurante???