Les entretiens de la Méduse – Imaginer les villes durables du futur


L’économiste Daniel Stanislaus Martel écrit pour les journaux “Point de Mire”, “Skynews” et “Swissfuture”. Il a occupé la fonction de conseiller à la direction générale pour le développement du secteur privé au Ministère du Commerce et de l’Industrie Afghan. Il est également membre actif au comité du Salon Suisse des Inventions et formateur d’adultes breveté BFFA.

PROPOS RECUEILLIS PAR GUILLAUME BEGUELIN 

Comment concilier progrès technologique et diminution de l’impact environnemental?

Daniel Stanislaus Martel: Dans domaine du bâtiment par exemple, il faut concevoir le développement urbain en intégrant le changement de mode de vie des utilisateurs. Maisons, moyens de transports, gestion des déchets et toutes les technologies participeront à l’avenir à la mutation urbaine. On peut concevoir des quartiers dans lequel on se déplace en vélo. Prenez l’exemple de Manhattan. C’est un excellent exemple d’une ville compacte avec un faible impact environnemental. L’espace y est restreint, les gens viennent en transports publics et se déplacent à pied et à vélo. Et il se trouve une forte densité de personnes concentrées sur une faible surface en raison de la hauteur des constructions.

Une étude que j’ai vue dernièrement présente des immeubles à 12 étages articulés autour de cours intérieures vertes. Bien évidemment ils sont pourvus d’installations énergétiques performantes avec exploitation des rejets de chaleur. L’efficacité énergétique des appareils ménagers usuels est également prévue. Le tout est articulé autour des axes de transports publics existants, RER, Tram, etc.. Un projet semblable verra peut-être le jour prochainement dans la Limmattal à Zurich. C’est le projet Limmattalbahn, une ligne de tram de 13.5 km de long qui relie Zurich-Altstätten à Spreitenbach. Comparé au tram, les voitures sont désavantageuse quant aux importantes quantités de matière première nécessaires à leur production. Surtout si le tram est efficient au niveau énergétique. Nous pourrions épargner les terrains agricoles et construire en exploitant d’avantage la hauteur au lieu de multiplier les pavillons résidentiels. D’autant plus que l’eau souterraine et les terrains agricoles vont se raréfier plus vite que le pétrole.

Dans le secteur industriel, comment diminuer les impacts environnementaux tout en continuant d’innover?

Pour ce qui est de l’industrie, investir dans la recherche implique toujours une prise de risque. Prenons par exemple l’industrie chimique avec des sociétés comme Roche ou Novartis. Lorsqu’elles investissent dans une substance sur plus de 10’000 combinaisons il y en a peut-être deux qui sont potentiellement utilisables pour une nouvelle pilule. Ajoutez à cela les coûts de recyclages des déchets produits par la recherche et vous aurez une idée des défis auxquels doivent faire face de telles industries.

Pour ce qui est du secteur aéronautique, certains producteurs réalisent que les matériaux actuels commencent de manquer et qu’il faut rechercher des matériaux stratégiques pour assurer les futures productions. Jusqu’à présent, hormis la Chine et le Japon dans une moindre mesure, très peu de pays osent investir dans des recherches qui ne rapporteront que dans une dizaine d’année. Mais pour répondre à votre question, je peux vous citer par exemple l’association des recycleurs d’avions qui est parvenue à convaincre toutes les entreprises aéronautique de signer une charte de qui pose les critères de recyclage et de fabrication des nouveaux avions. Je pense également que les universités et les écoles polytechniques ont un rôle important à jouer.

Cela favorisera l’intégration des concepts durables dans les processus production?

Certainement, car les années avenir vont voir apparaitre de très importants problèmes au sujet des matières premières. On peut citer le cobalt qui est utilisé pour le refroidissement des transistors et des composants qu’on trouve dans les téléphones portables par exemple.

Actuellement, il n’y a pas de substitut au cobalt pour ces applications. Certains laboratoires en Chines dans certains autres pays font des recherches là-dessus. En revanche, on peut chercher à en diminuer la quantité en modifiant l’architecture de ces composants.

D’autre part au niveau environnemental, on tient de plus en plus compte du fait qu’un produit possède ce qu’on appelle un cycle de vie. Le cycle de vie d’un produit ne se limite pas à sa période d’utilisation, mais tient également compte de l’énergie nécessaire pour son extraction, sa fabrication, sa distribution et son recyclage. C’est un indice pour évaluer correctement l’impact environnemental de ce que nous produisons.

Certains  matériaux comme le néodyme perdent leur qualité et certaines de leurs propriétés pendant leur phase d’utilisation. Le néodyme est une terre rare extraite en Chine dans des conditions difficiles et utilisée notamment dans l’industrie des éoliennes. L’analyse du cycle de vie d’une éolienne prend donc cela en compte. Lors du recyclage d’une éolienne, si ses composants comportent du néodyme, ils finissent dans des centres de recyclage pour déchets spéciaux. Les principaux fabricants d’éoliennes, conscients de ce dilemme l’ont éliminé de leur processus de fabrication.

Cela défie passablement l’approche économique du profit immédiat.

Bien sûr mais en même temps cela pousse à l’amélioration et à l’innovation. Au niveau de la fabrication, lorsque les normes de qualité exigent de jeter des milliers de téléphones portables lors des processus de fabrication, on pourrait fortement diminuer la quantité de déchets en optimisant la qualité de production et par la même occasion diminuer également l’impact sur l’environnement. Certaines entreprises agissent dans ce sens en créant des espaces de travail plus ergonomiques et d’autre mesure permettant d’améliorer les conditions de travail des ouvriers.

Tous les secteurs commerciaux doivent continuellement investir dans le prototypage, la veille concurrentielle, le contrôle qualité post production, etc.. Mais faciliter l’élimination des impacts environnementaux est vraiment le défi actuel.

«Il existe déjà des logiciels de traçage informatique  qui sont à-même de récolter et synthétiser des données (…) Ces données bien utilisées nous permettraient d’optimiser le cycle de vie de tout ce que nous produisons.»

Quels sont selon vous les secteurs qui verront un net développement ces prochaines années?

Sur le plan économique je citerai trois idéaux types ou tendances qui vont être très importantes dans l’avenir. La première est la réparation des dégâts commis contre l’environnement. Nous n’aurons pas le choix. Le seconde est la recherche de la minimisation de l’impact environnemental de toutes les activités humaines. C’est-à-dire, minimiser l’impact des déchets, les impacts sociaux, les besoins de ressources et la substitution des ressources précaires et stratégiques.

La troisième est l’inférence des données. C’est l’analyse du big data qui est l’ensemble des données que nous produisons en permanence. Il existe déjà des logiciels de traçage informatique  qui sont à-même de récolter et synthétiser des données. Ces outils capables traquer des sociétés dans des secteurs tels que performances boursières, communiqués de presse, personnel, mutation, etc.. sont utilisés dans la finance ou l’analyse concurrentielle.

Nous pouvons dès à présent utiliser ces applications et  générer du smart-data. Ces données bien utilisées nous permettront d’optimiser le cycle de vie de tout ce que nous produisons. Voilà un exemple d’application pouvant favoriser l’harmonie sociale, économique et environnementale.

Quelles ont été les conditions favorables aux progrès technologiques en Europe et en Suisse?

A l’époque de l’Europe de Lisbonne, l’Europe se trouvait dans une situation paradoxale. Elle occupait la deuxième position pour tout ce qui est technologie de l’information, derrière le Japon qui aujourd’hui est toujours la première puissance du point de vue de la dépose de brevets dans ce domaine. Concrètement, c’est surtout l’Allemagne qui occupait cette deuxième place, et la France dans une moindre mesure. L’Europe souffrait d’un manque d’économie d’échelle par rapport aux États-Unis. Les Etats-Unis disposent d’une élite très bien formée – notamment Silicon Valley – ainsi qu’un fort esprit d’entrepreneuriat. L’Allemagne était néanmoins placée juste derrière le Japon. Il faut dire qu’une voiture européenne est bien plus élaborée qu’une américaine. Il en va de même pour les avions. Il y a néanmoins des domaines où les États-Unis se démarquent comme par exemple la technologie militaire, les avions de chasse et les technologies spatiales. Ce qui fait la force des États-Unis sont premièrement leurs très importants rendements d’échelles et ensuite l’apport permanent de jeunes cerveaux par leurs programmes de bourse comme le Fullbright. Cette concurrence a par ailleurs favorisé l’augmentation des activités néfastes pour l’environnement.

«Il y a 30 ou 40 ans ce qui comptait était la pole position, devancer la concurrence par l’excellence technologique et l’innovation. Aujourd’hui nous somme plus intéressés par le profit immédiat au détriment d’une vision à long terme.»

Comment la Suisse s’est-elle hissée au top des marchés technologiques?

Contrairement à l’Allemagne ou à la France par exemple, la Suisse elle ne possède pas de matières premières ni sur son territoire ni sur celui de colonies puisqu’elle n’en a pas. C’est la raison pour laquelle sa vision a toujours été de croître par la valeur ajoutée et elle a été l’un des premiers pays à en faire sa priorité en créant des produits intelligents et bien élaborés. Au 19ème siècle, la Suisse a été le premier pays à saisir que la croissance passait par un excellent système scolaire. La Suisse a été l’un des premiers, si ce n’est pas le premier pays où même les enfants des couches sociales défavorisées recevaient une bonne éducation de base. Le Tecnicum, fut également créé au 19ème siècle, car la Suisse a misé sur des ouvriers spécialisés. De plus la Suisse a très vite investi dans une infrastructure ferroviaire de qualité favorisant une expansion de ses industries. Le financement des Banques était à proximité et la Suisse jouissait dès 1914 d’une administration très performante et n’avait pas comme d’autres pays toutes ces fonctions représentatives qui absorbent énormément de ressources. C’était une administration discrète et travailleuse

Malheureusement la Suisse est en perte de vitesse en matière de leadership technologique. Mais il faut le comprendre dans un contexte plus large. Il y a 30 ou 40 ans ce qui comptait était la pole position, devancer la concurrence par l’excellence technologique et l’innovation. Aujourd’hui nous somme plus intéressés par le profit immédiat au détriment d’une vision à long terme. Cela est dû d’une part à une américanisation des mœurs et d’autre part au néo-libéralisme, mais également à la dégradation du climat politique.

A quoi doit on la diminution de la recherche de l’innovation au profit de la rentabilité immédiate?

Premièrement, un ensemble d’avancées technologiques – notamment informatiques – se sont cumulées à d’importants progrès dans les capacités de se servir de ces nouvelles technologies. Et cela a ouvert un nouveau potentiel économique. Puis, l’application des théories néo-libérales a engendré notamment la délocalisation des industries et une forte augmentation du volume de productions industrielles. En soi, le libéralisme est une vision qui date du 18ème siècle. C’est celle d’Adam Smith, et David Ricardo avec les concepts d’avantages comparatifs, de production rationnelle etc.. et cela n’est pas mauvais. Mais le Néo-Libéralisme est un dogme né en réaction à la social-démocratie à la fin des années 70, et dans cette théorie c’est la performance financière qui est prépondérante avec entre autres un accent sur la réduction des coûts de production.

 

Laboratoire zurichois

L’impact de la globalisation sur les villes et les périphéries nécessite de repenser la dynamique de nos cités. L’ETHZ y travaille depuis 2010 en partenariat avec L’Université de Nanyang à Singapour. Le programme de recherche interdisciplinaire baptisé Future Cities Laboratory (FCL) a pour objectif de créer de nouveaux processus de développement urbain. A l’aide d’un nouveau système d’acquisition de données, le laboratoire examine et interprète les comportements dans des zone urbaine où se concentrent d’importantes activités sociales, économiques et culturelles. Ces données permettront d’imaginer les villes durables du futur. GB

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3 commmentaires à “Les entretiens de la Méduse – Imaginer les villes durables du futur”

  1. Bernard Walter 22 septembre 2015 at 18:04 #

    Cet entretien a les apparences d’un plaidoyer pour un “développement durable”. En fait, j’y vois plutôt un hymne à la croissance, avec un clin d’oeil à la technologie guerrière américaine.
    M’en voilà médusé.

  2. Daniel Stanislaus Martel 15 octobre 2015 at 13:13 #

    Cher Bernard,

    A mon tour d’être médusé. Pourriez-vous expliciter vos réserves en ce qui concerne l’hymne à la croissance et le clin d’oeil à la technologie guerrière américaine? Je m’en réjouis.

  3. Guillaume B 16 octobre 2015 at 09:14 #

    La réduction de l’impact environnemental des activités humaines est bien évidemment positive. Deux questions se posent à moi. La première : Cette réduction peut elle passer par un moyen n’impliquant pas l’augmentation de production industrielle génératrice de nouveaux déchets (notamment déchets électroniques). La seconde, dans quelle mesure ne faut il pas penser plutôt en terme de décroissance dans les secteurs qui ne touchent pas directement à la survie (medtech, agroalimentaire,..) ?

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