Narcisse Praz à Genève, «le retour»…


Le vendredi 2 octobre 2015, se rendant à l’invitation de ses pairs libres penseurs genevois, bon pied bon œil, l’écrivain libertaire Narcisse Praz (1929) s’est brièvement absenté de «son» Valais natal pour une incursion dans la cité dite de Calvin.

PAR MICKY ZIMMERMANN

Bien décidé à ne pas y venir pour y égrener le chapelet de ses faits d’armes d’antan, il a prévenu qu’il se limiterait à entretenir son auditoire de son actualité militante, c’est-à-dire des aléas de son récent combat pour l’avènement d’un Valais laïc. C’est ainsi que, flanqué de son vénérable complice, le journaliste Alex Décotte, notre inlassable pourfendeur d’obscurantisme s’est retrouvé à la tribune de la salle Carson de la Maison des Associations devant un aréopage d’une quarantaine d’esprits attentifs autant qu’éclairés dont la moyenne d’âges tournait allègrement autour des soixante ans. Détail dont il convient de s’étonner, d’autant que le thème de la soirée, laïcité et séparation de l’église et de l’Etat, résonne toujours et encore dans un contexte historique où le religieux, au sens large du terme, n’a pas fini d’empoisonner la conscience, l’actualité et la vie des hommes (respectivement et à plus forte raison des femmes, il va sans dire !).

Après une brève présentation, au cours de laquelle Alex Décotte, «trahissant» cordialement le vœu de l’illustre invité, donna à visionner un petit film consacré aux grandes causes pour lesquelles ce cher libertaire, satiriste et antimilitariste de Narcisse Praz s’était, par le passé, engagé sans compter (journal “La Pilule”, commerce de montres autogéré, Parti Sans-Payer, désobéissance civile contre les taxes et impôts indirects, etc.), notre libre penseur valaisan se mit calmement à raconter pourquoi il s’était décidé à mener le combat pour qu’enfin le Valais devînt un canton laïc. Parlant devant un auditoire compatissant, il fit se succéder les anecdotes valaisannes. Il dit comment, poursuivi par la justice, il s’était trouvé dans l’impossibilité de répondre à l’interrogatoire d’un juge siégeant sous les auspices inquisiteurs d’un crucifix et comment, après négociation, l’homme de loi lui accorda d’échanger la salle d’audience pour un petit bureau vierge de toute signalétique ostentatoire. Il dit comment, malade et hospitalisé, il dut recourir à une bonne âme pour faire taire, avec un oreiller et force sparadrap, le haut-parleur qui, dans sa chambre comme dans toutes les autres, diffusait la messe. Il dit les écoles, les salles de classes où le tableau noir est coiffé d’une croix, les mairies, les parlements communaux, la salle du Grand Conseil et tous les lieux de l’administration et de la démocratie où le martyr du Bon Jésus est impitoyablement exhibé. Enfin, il dit l’origine du problème, le préambule de la Constitution valaisanne: «Au nom de Dieu tout-puissant!».

Ainsi donc, coutumier des croisades en milieux hostiles, notre infatigable apôtre de la laïcité se mit à raconter comment, armé de son bâton de pèlerin, il alla trouver cet instituteur scandaleusement licencié pour avoir décroché le Rédempteur de sa salle de classe, comment il recruta d’autres libres penseurs, des radicaux valaisans des origines (les autres ayant sombré dans la bigoterie, le libéralisme, la corruption et la réaction), des hommes et des femmes exclus de l’église pour de prétendues «déviances» et comment, ensemble, ils se constituèrent en comité d’initiative pour un Valais laïc. Il dit comment ils ne voulurent pas en faire une cause partisane étant entendu que la séparation, de fait, de l’église et de l’Etat relève d’une revendication de bon sens qui a tout naturellement vocation à intéresser des fidèles tant de la gauche que de la droite (excepté, s’entend, ceux du PDC).

À ce stade, tous les espoirs sont permis. Il nous dit combien le comité était remarquablement organisé, combien ses argumentaires étaient pertinents, comment ce dernier était en mesure de démontrer que le subventionnement des paroisses par les deniers publics était opaque et injustifié. N’est-il pas paradoxal pour un Etat, tout valaisan soit-il, d’entretenir des églises dont les bancs, ni plus ni moins qu’ailleurs, sont désertés? Forts de leurs convictions, croyant avoir le vent en poupe, les membres du comité rédigent une initiative cantonale et commencent à collecter des signatures. Il leur en faut six mille! «N’utilisez pas ma signature comme étendard!» s’exclame un officiel du PS valaisan…

Compréhensif, le Valais fait bon accueil à la cause, les chanoines de Saint-Maurice ne s’en inquiètent pas trop, ils préparent les célébrations des 1500 ans de leur Abbaye, le Rhône suit son cours, les glaciers fondent petit-à-petit, les morts sont enterrés, quelques nouveau-nés baptisés et les membres du comité d’initiative fatigués. Lancée en juin 2014, l’initiative pour un Valais laïc, qui n’a recueilli que 2000 signatures, a été retirée en mai 2015… Le combat continue! Tel est du moins la conviction des libres penseurs romands qui, avec Narcisse Praz, leur journal, le renouveau et l’élargissement de leur comité, ont eu la lumineuse idée de convoquer la soirée du 2 octobre. Gageons que cette dernière n’aura été qu’une étape d’un futur militant et prometteur. Vive la libre pensée (un phare dans la nuit polaire de l’obscurantisme)!

Le Libre Penseur

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3 commmentaires à “Narcisse Praz à Genève, «le retour»…”

  1. Heizmann 7 octobre 2015 at 14:27 #

    Il est amusant de relever combien des idéaux a priori légitimes, se transforment au fil du temps en combat pathétique, qui finalement n’amusent plus personne. De plus, à la lumière des événements tragiques se déroulant sous les yeux de monde et hors du Valais, la présence d’un crucifix dans une salle de tribunal, à quelque chose de fort rassurant… Ironie de l’Histoire!

  2. Elsa Wack 8 octobre 2015 at 09:59 #

    Que déchirée je suis!
    Une catholique partisane de la séparation entre l’Eglise et l’Etat.

  3. Bernard Walter 11 octobre 2015 at 02:26 #

    Magnifique texte, Micky. J’espère que tu me permets de le dire.

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