La décision de la Réserve fédérale confirme l’impasse du système

Présentée parfois comme une mesure technique, c’est une décision d’une portée majeure que celle prise par la banque centrale américaine, le 16 décembre 2015, d’amorcer la remontée de ses taux d’intérêt.

PAR WALTER WAELTI

Ce qui donne une portée historique à cette décision, c’est qu’elle marque la fin de la politique menée depuis plus de treize ans, durant lesquels la Réserve fédérale (FED) a offert des taux d’intérêt proches de zéro, parfois même négatifs.

Durant ces treize années, la Réserve fédérale — entraînant derrière elle la plupart des banques centrales des puissances impérialistes — a ainsi recouru massivement à la planche à billets, inondant l’économie mondiale de milliers de milliards de dollars, création de monnaie artificielle destinée à une relance tout aussi artificielle d’une économie capitaliste en crise profonde.

La décision, annoncée par la présidente de la FED, Janet Yellen, exprime de manière concentrée l’impasse absolue dans laquelle est entré le système capitaliste, devenu impérialisme au début du XXe siècle. Un système qui ne se survit depuis plus de cinquante ans qu’au prix de politiques de déréglementation et de destruction des forces productives, toujours plus profondes, toujours plus étendues.

Les taux d’intérêt des banques centrales jouent un rôle direct à tous les niveaux de l’économie. Augmenter le taux du crédit des banques centrales, c’est augmenter le taux des crédits délivrés par les banques aux ménages, aux entreprises, aux Etats. Cela signifie mécaniquement que les ménages, les entreprises et les Etats auront un moindre recours au crédit. Moins de crédit, moins de consommation, moins d’activité. Pour les capitalistes, moins d’investissements. Pour la population, pour les travailleurs, moins de possibilités d’achats. Pour les Etats, un financement plus difficile de leurs dépenses. A tous les niveaux, cette mesure accélérera le recul de l’activité économique, accentuant la pression sur les salaires et les revenus des travailleurs et de leur famille, aggravant les plans de licenciements et de chômage. Cela dans une situation déjà marquée par une crise majeure de décomposition. Tous ceux — et ils sont nombreux — qui, depuis des décennies, et plus particulièrement depuis la crise des subprimes de 2007-2008, n’ont cessé de vanter les bienfaits des mesures d’austérité, des privatisations, des plans de la troïka, du «sauvetage» des banques, annonçant que, par le renflouement des banquiers et des spéculateurs faillis, toutes ces mesures allaient permettre, malgré tout, la relance de l’économie, sont aujourd’hui confrontés aux résultats des politiques qu’ils ont soutenues et contribué à mettre en œuvre.

La décision de hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale n’a été prise qu’au terme d’un long et difficile débat aux sommets de la classe capitaliste américaine. Car tous savent bien que cette hausse des taux va déboucher sur un nouveau recul d’une économie qui ne s’était jamais relevée de la crise de 2007-2008. Recourant à la politique dite du «Quantitive Easing» — c’est-à-dire à la planche à billets —, les sommets de l’impérialisme ont certes cherché à en limiter les conséquences. Mais ils n’ont fait que préparer une nouvelle catastrophe, encore plus profonde, dont les chocs boursiers actuels sont les signes annonciateurs. Tous savent que la hausse des taux va attirer des capitaux du monde entier aux Etats-Unis, rendant le dollar plus cher, et donc plus difficile l’exportation pour les entreprises américaines, dans un contexte rendu déjà plus que fragile par le début d’un effondrement des Bourses chinoises. Or, la Chine constituait justement l’une des principales locomotives de l’activité économique mondiale, au point que le journal capitaliste « Les Echos » écrit: «Le scénario d’un refroidissement net de la croissance mondiale est en train de gagner en probabilité.» Dans ce contexte, parfaitement consciente d’en rajouter encore, la Réserve fédérale décide de monter ses taux, malgré l’opposition d’une partie du patronat américain. Pour la Réserve fédérale — c’est-à-dire pour les secteurs qui dominent la classe capitaliste des Etats-Unis — le danger le plus grave serait de poursuivre le recours illimité, et en croissance vertigineuse, de la planche à billets. Utilisée dans des proportions jamais vues dans l’histoire, cette création artificielle de milliers de milliards de dollars nourrit des bulles spéculatives sans précédent qui, en explosant, font disparaître en fumée des capitaux colossaux. Cette situation résulte de la longue marche à la décomposition du régime fondé sur la propriété privée des moyens de production. La décision prise par l’impérialisme américain le 16 décembre (entraînant à sa suite les autres impérialismes), se traduira, c’est une certitude, par des mesures visant à faire payer encore plus durement aux travailleurs et aux jeunes du monde entier la survie du régime pourri de la propriété privée des moyens de production. Elle entraînera des situations dramatiques, dans l’objectif, vain, de surmonter le chaos économique, financier, politique, social, militaire généré par la survie du régime capitaliste. D’ores et déjà, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud —, présentés hier comme le pôle florissant d’une économie capitaliste pleine d’avenir, sont frappés de plein fouet sous l’effet combiné des rapatriements de capitaux et de la contraction du marché. En prenant cette décision, l’impérialisme américain utilise la crise — qui le frappe lui-même — pour tenter de renforcer sa propre position au dépens de ses partenaires impérialistes plus faibles, en particulier des pays membres de l’Union européenne.

Au stade de l’impérialisme décomposé et disloqué, ces crises à répétition, ce jeu entre inflation et déflation, ces mesures de déréglementation monétaire (et bien d’autres encore) — qui ne sont que l’expression au plus haut niveau des contradictions mêmes du système capitaliste — traduisent l’impasse dans laquelle le régime de la propriété privée des moyens de production est en train de conduire l’humanité. À chaque étape, les mesures prises pour sauver la domination du capital financier entraînent de nouvelles dégradations des conditions de vie et de travail, une nouvelle spirale de déqualification, de chômage, de déchéance de la jeunesse et de destruction des nations. Que les taux d’intérêt augmentent ou diminuent, toutes les mesures prises, de manière continue, par les gouvernements successifs des puissances capitalistes, toutes ne font que porter à un niveau plus élevé les destructions et régressions sociales infligées aux travailleurs et aux peuples. Toutes nourrissent la marche à la guerre et à la misère, sans jamais permettre la moindre stabilisation de la situation. C’est une certitude: la décision de la Réserve fédérale du 16 décembre porte en elle les attaques les plus brutales à un niveau qu’on n’a jamais connu jusqu’à présent, visant au démantèlement pur et simple de toutes les conventions collectives arrachées par les travailleurs, précipitant une situation de souffrance et de désolation dans le monde entier. En ce sens, et pour sauver la civilisation humaine, il n’y a, pour les travailleurs du monde entier et les nouvelles générations, pas de tâche plus urgente que le combat uni pour en finir avec le régime fondé sur la propriété privée des moyens de production. Regarder le monde par le petit bout de la lorgnette journalistique (la météorologie du chaos), c’est se donner les moyens de ne pas comprendre que la situation en Syrie, au Proche et au Moyen Orient, la tragédie des réfugiés et l’exponentielle croissance de la misère, notamment en Europe, procèdent du maintien d’un régime économique putréfié et à bout de souffle qui conduit l’humanité toute entière au désastre.

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