«La démocratie directe que le monde nous envie»

Quel étrange paradoxe : pour la plupart des Français, la Suisse est ce petit paradis fiscal où les grandes fortunes planquent leur argent, ce havre de paix qui abrite les magouilles de la FIFA, ce pays où le président dont personne ne connaît le nom change chaque année.

PAR MARC SCHINDLER, Alès

Et pourtant, les journalistes et les politiciens français sont fascinés par le système politique suisse, « la meilleure démocratie d’Europe ».

Mais quand les Suisses votent pour interdire les minarets (en novembre 2009) ou pour dire non à une sixième semaine de vacances (en mars 2011), les Français se grattent la tête pour comprendre. Quand, en février, les Suisses acceptent une initiative populaire xénophobe « contre l’immigration de masse », il y a comme un malaise. Vous imaginez ça en France : Marine Le Pen qui ferait inscrire dans la Constitution que la France « gère de manière autonome l’immigration des étrangers » en fixant des quotas annuels selon les besoins de l’économie « dans le respect du principe de la préférence nationale »?

C’est vrai qu’en Suisse, les citoyens sont tous des « politiciens du dimanche ». Sans passer par leurs députés, 100 000 électeurs peuvent lancer une initiative populaire pour modifier la Constitution ou un référendum pour contester une loi votée par le Parlement. Comme l’affirmait Abraham Lincoln : « Le gouvernement du peuple par le peuple ». Depuis 1848, création de la Suisse moderne, les Suisses ont voté 599 initiatives et referendum et en ont accepté 291, sur des sujets aussi variés que l’adhésion de la Suisse à l’ONU, les dimanches sans voitures, la protection des régions alpines contre le trafic de transit ou l’interdiction des maisons de jeu. Dans les 26 cantons, les électeurs donnent aussi leur avis sur des problèmes locaux, comme la taxe sur les ordures ou la protection du paysage.

Mais, vue de près, la démocratie suisse n’est pas si exemplaire. D’abord, il y a 23% d’étrangers qui n’ont pas le droit de vote sur le plan fédéral. Le referendum est devenu un moyen de pression des lobbies sur les députés pour défendre leurs intérêts. Si tu votes cette loi, je lance un referendum populaire à coups de millions. L’initiative populaire, qui devait protéger les minorités, a été dévoyée, comme le déplore Michel Barde, l’ancien patron des patrons genevois : « Depuis maintenant plusieurs années, le nombre d’initiatives populaires fédérales, sans même compter les cantonales, ne cesse d’exploser. Elles sont, dans une large mesure, le reflet de l’atomisation du paysage politique suisse caractérisé par l’irruption de nouveaux partis et leur éparpillement. Ceux-ci, pour se profiler, recourent de plus en plus à l’instrument de l’initiative comme d’autres feraient du marketing. » Comme l’UDC, un parti xénophobe membre du gouvernement fédéral, qui a fait voter l’initiative «contre l’immigration de masse».Des parlementaires et des politologues ne disent pas autre chose : il faut encadrer les « droits populaires » pour éviter de valider des projets contraires au droit international. Il faut aussi relever le nombre de signatures pour lancer une initiative ou un referendum. Actuellement, il suffit de mobiliser 1% des électeurs.

C’est vrai que la liste des sujets proposés à la votation populaire ressemble parfois à un inventaire à la Prévert. Le 5 juin, comme citoyen suisse habitant en France, je vais donner par Internet mon avis sur des initiatives populaires «en faveur du service public», «pour un revenu de base inconditionnel», «pour un financement équitable des transports », que ses initiants ont finement appelée « Non à l’arnaque de la vache à lait ». Je vais aussi voter pour modifier la «loi fédérale sur la procréation médicalement assistée » et la « loi sur l’asile ». Des sujets techniques et à forte charge émotionnelle, sur lesquels partisans et adversaires s’écharpent dans les médias. Attendez, c’est pas fini : on me demande aussi de dire si j’approuve une initiative cantonale «Pour des transports publics plus rapides », une autre sur « la grande traversée du lac (Léman) », « la loi sur l’imposition des personnes physiques » et « la loi modifiant la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l’emploi) ». N’en jetez plus ! On comprend mieux pourquoi les électeurs suisses, qui votent quatre fois par an, sans compter les élections, traînent souvent les pieds, rarement plus de 45% font leur devoir de citoyen.

C’est vrai, les dérives de la démocratie directe par le populisme et le clientélisme menacent le modèle suisse. Mais, il n’est pas « au bord de la faillite », comme l’affirme le politologue de gauche François Cherix. Il a raison d’affirmer que la Suisse, comme la France, ont « une propension à faire la morale au monde entier, avec d’un côté l’universalisme français, de l’autre le moralisme suisse ». Mieux vaut détourner le vieux slogan de la pile Wonder : la démocratie directe ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !

 

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2 commmentaires à “«La démocratie directe que le monde nous envie»”

  1. Christian Campiche 21 avril 2016 at 09:15 #

    Mobiliser 1% des électeurs paraît aisé, en réalité c’est la croix et la bannière. Il faut énormément d’énergie, de soutiens bénévoles et surtout de moyens financiers. Très peu de personnes se lancent dans l’épreuve d’une initiative ou d’un référendum, et pour cause, ce qui relativise quand même le mythe démocratique. Ce n’est pour rien que la plupart des initiatives sont lancées par de puissants groupements ou lobbies. L’opulente UDC dont le chef de file est un milliardaire est l’un d’eux.

  2. Schindler 21 avril 2016 at 14:12 #

    C’est vrai, le lancement d’une initiative populaire ou d’un referendum est un processus long (souvent plusieurs mois) , difficile (risque d’invalidation) et coûteux – au moins 150 000 francs. Vrai aussi que ce sont des groupements d’intérêt et des lobbies qui les lancent. N’empêche que de nombreux politologues et juristes estiment que 100 000 signatures ne se justifient plus pour un pays d’environ 5 millions d’électeurs.

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