Initiative «Pro service public», la gauche et les syndicats pris à leur propre piège


Alors que des associations de défense des services publics, relayées par des associations de consommateurs, militent, à juste titre, contre la dégradation du service public en lançant une initiative populaire, la gauche et les syndicats, pris la main dans le sac, se mobilisent contre cette initiative contribuant, de fait, à la poursuite des politiques de libéralisation des services publics.

PAR MICHEL ZIMMERMANN

Dans un communiqué, lʼUSS déclare : « Aussi sympathique soit-elle au premier abord, lʼinitiative serait en fait dévastatrice pour les CFF, la Poste et Swisscom, tels quʼon les connaît aujourdʼhui ». Peut-être. Mais notons bien ce « tels quʼon les connaît aujourdʼhui ». Car ce que les initiants cherchent précisément à combattre, ce sont les conséquences, aujourdʼhui, de ce que les ex-Régies de la Confédération sont devenues. Transformées en sociétés par actions, juridiquement modifiées pour se conformer aux directives européennes de libéralisation du service postal et ferroviaire, leur statut, quoiquʼon dise, nʼest plus exactement celui dʼun service public. Tout le problème est là !

Il fut un temps où il paraissait normal que le PS et lʼUSS prennent la tête du combat en défense des services publics et de leurs employés. Ce temps semble révolu. La Poste est désormais le premier client des agences de travail temporaire que sont Manpower et Adecco. Ses effectifs syndicaux ont fondu comme neige au soleil et les sections de retraités sont actuellement, par le nombre de leurs adhérents et faute de relève, les plus grosses sections du syndicat des postiers (Syndicom). Cʼest dire, quʼavec la libéralisation, même partielle, les politiques dʼintégration européenne menées tant par le PS que par les directions syndicales coûtent cher à la défense des conditions de travail et aux services publics.

Récemment encore inquiète du sort des travailleurs, lʼUSS se préoccupe désormais de celui des actionnaires. Toujours dans le même communiqué, lʼUSS affirme que « (Si lʼinitiative « Pro service publics » était acceptée – NDLR), la Confédération devrait se retirer de Swisscom, car celle-ci nʼaurait pas les moyens financiers de rémunérer tous les autres (sic) actionnaires ». Quʼest-ce à dire ? Quʼil faudrait, selon lʼUSS, faire passer les intérêts des actionnaires avant ceux des usagers et du personnel ? On peut le craindre.

Faisant feu de tout bois pour tenter de contrer lʼinitiative « Pro service public », lʼUSS et quelques ténors du PS ne se privent pas de brandir toute une série dʼarguments trompeurs et fallacieux, notamment sur la question des subventionnements croisés. Nʼhésitant pas à confondre participation actionnariale et intéressement aux dividendes avec subventionnements croisés, ils prétendent que ceux-ci seraient rendus impossibles avec une acceptation de lʼinitiative. Cʼest faux ! Ce que lʼinitiative demande pour sortir un peu des logiques marchandes où le service public est entraîné au gré de sa libéralisation, cʼest précisément que les bénéfices réalisés dans les secteurs les plus rentables soient, non pas transformés en dividendes pour alimenter une véritable usine à gaz actionnariale, mais intégralement reversés aux entreprises publiques pour soutenir et développer lʼoffre, notamment dans les secteurs les moins rentables. Autrement dit, lʼinitiative « service public » préconise de rétablir, au sens strict, le principe des subventionnements croisés tels que pratiqués avant la déferlante qui, en matière de services publics, a transformé les usagers en clients, et les clients en pigeons. Si cet objectif vertueux représente certes un coin enfoncé dans le dispositif dʼalignement sur les Directives européennes de libéralisations/privatisations des services publics, il nʼen est pas moins un moyen, pour la population, dʼavancer vers la réappropriation, à terme, dʼun secteur public gravement menacé par le trend libéral du « tout-au-marché ».

Pour toutes ces raisons, et même si les exposés de lʼinitiative « Pro service public » ne sont peut-être pas parfaits, il convient de glisser un grain de sable dans les rouages bien huilé du vaste programme de libéralisation/privatisation voulu, de droite à gauche, par lʼensemble des partis gouvernementaux.

L’auteur est conseiller communal socialiste de la ville de Versoix (GE).

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Un commentaire à “Initiative «Pro service public», la gauche et les syndicats pris à leur propre piège”

  1. Bernard Walter 26 avril 2016 at 23:58 #

    Entièrement d’accord, Michel. Tu présentes l’ensemble de la question avec une totale clarté.
    Depuis la “chute du Mur” (1989) et la “Fin de l’histoire” (1992), on a assisté chez nous à un démantèlement continu du tissu social et à la désintégration des services publics, assurés auparavant par des régies telles que les PTT et les CFF par exemple.
    Depuis, le clivage politique n’a plus été fait de l’opposition entre gauche et droite, lesquelles sur le plan de la politique institutionnelle ne se distinguent plus que par des rhétoriques électorales racoleuses. Ce qui subsiste aujourd’hui, c’est l’opposition entre partis gouvernementaux traditionnels et populisme nationaliste (=extrême-droite), comme l’ont clairement démontré en France la présidentielle de 2002 et les dernières élections régionales.
    Restaurer la notion de Service Public et en refaire une réalité sociale concrète est une lutte essentielle de notre temps. Cela s’inscrit dans le processus de rupture que je vois personnellement s’opérer depuis un certain nombre de mois dans le monde (cf mon article « 2015 Année charnière » publié dans la Méduse en décembre dernier).

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