Singapour, modèle économique exportable?

En 1965, date de son indépendance, Singapour n’était qu’une vaste zone d’entrepôts idéalement située entre deux océans asiatiques.

PAR ALBERT EBASQUE

Cinquante ans plus tard, le PIB par habitant est du même ordre que celui du Danemark avec d’ailleurs une population équivalente. A l’origine de ce succès et de cette stratégie gagnante, un homme au charisme et aux qualités exceptionnelles: Lee Kuan Yew, disparu il y a une année à l’âge de 91 ans. Cet avocat d´origine chinoise et formé en Grande-Bretagne, longtemps premier ministre de son pays lorsqu’il se sépara de la Malaisie, sut faire adhérer la population à son projet de développement économique et à sa vision du futur dans un environnement difficile et même parfois hostile.

Que faire quand le pays ne dispose d’aucune ressource naturelle? Comment attirer les investisseurs? Quelle stratégie industrielle? Quelle place à l’éducation? Comment se constituer des réserves de change? Comment faire en sorte pour que le tissu social évolue de façon harmonieuse? Toutes ces questions et des centaines d´autres, Lee Kuan Yew et son équipe se les sont posées au début de l’indépendance. Mais ce qui est assez fantastique, c’est la logique avec laquelle ce développement a été mené: comme pour construire une maison, il faut commencer par les fondations. Le gouvernement s’est donc attaché à définir un plan-directeur, sorte de colonne vertébrale pour les vingt prochaines années. Et ce plan a été suivi avec rigueur, à tel point que dans le milieu des années 80, soit seulement deux décennies après l´indépendance, la cité-Etat avait déjà le visage de la modernité. Devenue une importante place financière, deuxième port mondial après Shanghai et avec des industries locales à très haute valeur ajoutée, la cité-Etat a brillamment remporté son pari d’un développement accéléré. Mais cette course à marche forcée n’a pu réussir qu’avec de sérieuses entorses aux principes de la démocratie. Parti unique, opposition muselée, presse sous contrôle et pouvoir autocrate, la vie politique singapourienne est aussi excitante qu’un port de pêche à marée basse. Nous sommes donc loin du modèle suisse avec sa démocratie directe et participative.

Ceci étant dit, la grande question est la suivante: pourquoi ce qui fut possible à Singapour ne l’est pas ailleurs? Pourquoi certains pays ne parviennent-ils pas en vingt ou trente ans à sortir de leur médiocrité économique alors qu’ils font souvent partie de grands ensembles régionaux comme par exemple l’Union Européenne? Certes, Singapour est de taille réduite et il est plus facile de gérer une petite surface de territoire. Mais au-delà de cet élément purement spatial, force est de constater que nous avons du mal en Europe à nous projeter dans le long terme et à choisir des hommes politiques capables de faire adhérer les peuples à une vision claire de leur avenir. Une des spécificités de nos modes de gestion est aussi la difficulté à faire table rase du passé. Nous sommes beaucoup trop attachés à des schémas anciens et ne savons pas prendre le risque d’innovation, notamment dans le domaine social. Nous le voyons actuellement en France avec ce projet de loi Travail – une montagne qui va accoucher d´une souris – alors que le chômage touche un jeune sur quatre. Pourquoi ne pas essayer, quitte à modifier cette loi ultérieurement?

Certains pays ont trouvé la clef de la porte du succès économique alors que d’autres continuent à végéter lamentablement. Grèce, Espagne et Portugal par exemple sont à la remorque de l’Europe car ils ont la nostalgie d’un passé révolu. Ils ne rattraperont pas Singapour mais pourraient certainement tirer des enseignements de cet ancien comptoir envahi de marais et infesté de moustiques tout en restant évidemment fidèles aux règles saines de la démocratie.

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Un commentaire à “Singapour, modèle économique exportable?”

  1. Christian Campiche 20 juin 2016 at 10:34 #

    (Première ligne de l’avant-dernier paragraphe) « La grande question est la suivante: pourquoi ce qui fut possible à Singapour ne l’est pas ailleurs? » L’article n’y répond-il pas un peu plus haut?: « Mais cette course à marche forcée n’a pu réussir qu’avec de sérieuses entorses aux principes de la démocratie. Parti unique, opposition muselée, presse sous contrôle et pouvoir autocrate, la vie politique singapourienne est aussi excitante qu’un port de pêche à marée basse. Nous sommes donc loin du modèle suisse avec sa démocratie directe et participative. »

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