Dans son roman “Allons voir si la Rose”, la romancière vaudoise Catherine Gaillard Sarron met en scène un crime parfait. Un drame de la petite bourgeoisie qui n’exclut pas des touches d’humour pince-sans-rire. Ainsi qu’une vision critique de l’environnement médiatique, comme l’atteste cet extrait que nous publions. Réd.
Pour Ulrich, l’information et la culture ne se limitaient pas aux journaux gratuits, à TVM, aux séries ou aux émissions de téléréalité qui passaient en continu à la télé. Ses exigences, en la matière, étaient nettement plus élevées. Cet insipide brouet médiatique ne pouvait en aucun cas sustenter sa curiosité et son appétit intellectuel. Il avait besoin d’une nourriture plus substantielle pour faire fonctionner son cerveau.
Lassé par l’inanité des contenus et la pléthore de séries en tous genres qui ne visaient qu’à fidéliser les masses au grand écran – vu la taille des nouvelles télés on ne pouvait certes plus l’appeler le petit écran – Ulrich avait coupé court avec ce qu’il nommait «la pollution télévisuelle» et remisé définitivement sa vieille télé au grenier lors de la dernière révolution numérique. Non! il ne serait pas la cible des directeurs de télévision qui, pour faire leur business, n’hésitaient pas à recourir au neuro-marketing et utilisaient les failles du cerveau humain pour vendre les produits des publicistes de tout poil. C’est que le marché était juteux: des centaines de milliards étaient investis chaque année uniquement dans la publicité. La science au service de la télé, de la pub et du consumérisme.
Un comble tout de même!
Le téléspectateur n’était plus qu’un produit comme un autre, une marchandise vendue au plus offrant. Les neurosciences se chargeaient de lui formater le cerveau pour le rendre disponible aux messages publicitaires. Et si la violence était omniprésente dans les programmes, c’est qu’il fallait mettre le spectateur en situation de stress pour qu’il acceptât et encodât l’information dans sa petite cervelle. Il fallait exploiter ses peurs, ses fantasmes et ses angoisses pour mieux le manipuler et créer en lui un manque et un mal-être propice à la consommation perpétuelle.
Les programmes étaient donc élaborés en conséquence, privilégiant les séries criminelles et médicales, les Talk-shows, les jeux, les films d’horreur, violents, sexistes ou licencieux. Et comme la majorité des gens regardaient la télévision plusieurs heures par jour, le conditionnement était assuré et renforcé à chaque visionnement. En outre, il s’avérait que plus les écrans étaient grands, plus la luminosité était forte et perturbait la mélatonine, donc le sommeil des spectateurs, lesquels, frappés d’insomnie, regardaient encore plus la télé. La boucle était bouclée. Un vrai cercle vicieux qui profitait à tous les intervenants, sauf au spectateur, frappé d’inertie intentionnelle et captif d’un système dont il ne soupçonnait même pas l’existence.
Véhicule privilégié de la publicité, la télé, pour Ulrich, n’était finalement qu’une arme de destruction massive des neurones et des esprits au service d’une aliénation consumériste qui rapportait des milliards.
La relation n’était pas culturelle mais bassement marchande. Et le téléspectateur était le dindon de la farce.
© Catherine Gaillard-Sarron -Allons voir si la rose, 2015
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