Carnage de Nice, mais à quoi sert mon journal du matin?

Moi, ce que j’en dis…

PAR PIERRE ROTTET

Mais j’ai tout de même trouvé choquant de ne rien voir apparaître ou si peu, à une ou deux exceptions près, en ce vendredi 15 juillet 2016, à propos du carnage d’un fou en camion, au soir du 14 juillet à Nice.

J’y vais souvent à Nice. J’aurais très bien pu m’y trouver, sur cette promenade des Anglais. Oh, pas pour fêter le 14 juillet et encore moins pour le nom qu’elle porte, ou encore y admirer des feux d’artifices inutiles. Crois-moi, je m’en tape. Du premier comme du second, surtout! Cela en Suisse, en France au Pérou et partout ailleurs. Reste que j’aurais pu m’y trouver pour y longer la mer, pour mettre mes pas en mode balade, écouter les vagues finissantes sur la plage, me fondre dans la foule, observer vivre ce monde. Et jeter un regard discret pour admirer la beauté d’une dame. Me donner le plaisir de photographier dans ma tête des sourires…

Et là, jeudi soir, devant mon poste de TV, j’ai vu. Incrédule d’abord. En me demandant comment un camion fou, avec un criminel au volant, mais qui aurait tout aussi bien pu transporter un chargement de bombes, d’explosifs, comment, donc, ce camion avait-il  seulement pu franchir une zone devenue piétonne tôt dans l’après-midi du jeudi? Donc interdite à la circulation. Non mais! Ça va la tête, vous qui, au pouvoir parler de sécurité à discours faits… Des discours qui résonnent aujourd’hui comme des niaiseries. Des fadaises. Les familles des victimes, oh combien compréhensive leur colère, pourraient bien la douleur aidant, demander des comptes à ce gouvernement en mode d’errance! Oui, mon cher, j’ai vu ce lieu de vie se transformer en un lieu de mort.

Alors ce matin, pour accompagner mon premier café de la journée, j’ai parcouru la presse quotidienne romande. Sans doute m’apporterait-elle d’autres précisions qu’une presse française redondante…, surtout que ce désastre s’est déroulé en quelques minutes, sur le coup de 22h30. Tôt encore pour la soirée, tu en conviens. Et donc y compris pour les rédactions. Normalement!

Las! Et on s’étonne de la perte de lecteurs! Attends, j’énumère. Rien, pas une ligne dans un journal de boulevard qui met l’accent en pleine actu sur un resto londonien ou l’on y bouffe nus. On habille des bonnes pages pour le bon peuple comme on peut. Bref, tu l’as compris, rien. Nada! Nada non plus dans un quotidien de référence. Pas étonnant, là, en revanche, puisqu’il boucle vers 21 heures, je crois. Déjà il ne donnait aucun résultat durant l’euro de foot pour la même raison, contrairement au boulevard qui, lui, en avait fait son fonds de commerce.

Les quotidiens régionaux font mieux. Tel journal met seulement une petite col en bas de page internationale. Pas mise en évidence, complètement perdue. Tel autre consacre en revanche une page entière et, surtout, l’éditorial du rédacteur en chef. Du travail de pro, bravo! Malheureusement loin de constituer la règle.

Dans ce café fréquenté le matin, j’observais les gens tourner les pages de leurs quotidiens, pour y chercher des compléments aux infos tombées la veille déjà. En vain. Ou presque. 22H30, j’me suis dis, c’est pas trop tard pour changer une «Une» et reporter l’info en dernière, à la rigueur. On attend parfois bien plus tard pour rouler l’édition afin d’y faire figurer un résultat sportif. Une finale de l’Euro, par exemple, avec prolongation. Soit bien au-delà de 23 heures.

Dans ce monde du numérique, d’internet, d’infos consommées à la seconde où se vivent les événements, tu vois, j’aime encore toucher le bon papier de mon journal qui fleure encore – j’exagère à peine – la bonne encre d’impression. Mais je crains de me retrouver un jour de plus en plus seul, avec cette nostalgie du papier journal imprimé, de la rotative qui tourne. A propos de rotative, dans le temps, enfin, il n’y a pas si longtemps, pour relayer un 11 septembre, un tsunami ou que sais-je, on aurait immédiatement stoppé ladite rotative. Histoire de retarder le tirage.

Là, tu vois, il serait étonnant que la page ou les pages des éditions de samedi des quotidiens romands, notamment, qui reviendraient sur la nouvelle en raison de leur non présence au lendemain de l’événement, il m’étonnerait, disais-je, que ces pages soient lues. Peut-être que pour faire illusion, rattraper le tir, comme on dit, cherchera-t-on l’expert qui ne dira strictement rien. Ou des banalités, tout au plus. Personne ne sera dupe. Le lecteur tournera la ou les pages. Sans s’y arrêter. Un peu comme le compte rendu d’une rencontre de foot, par exemple, jouée un samedi. Et qu’on commenterait avec résultat à l’appui le mardi suivant, en raison d’une quelconque fête du lundi.

Tu me suis toujours. Tu connais mon esprit critique, mes coups de gueule et mes tendresses. L’écriture, le journal, le papier, l’encre et la rotative ou que sais-je l’imprimante, ont – font encore – fait partie de ma vie. Alors j’y tiens à ce sacré p… d’papier, que je touche et tourne au fil des pages. J’y tiens d’autant plus que je me dis qu’avec un peu d’imagination et d’innovation, de courage aussi parfois, du sens critique qui trop souvent fait défaut, sous peine de mort lente, que ce papier, disais-je, a encore de beaux jours devant lui. J’y crois!

Sinon… sinon, à quoi sert mon journal du matin si c’est pour y prendre connaissance – et peut-être même pas – de ce que je sais depuis la veille déjà. A quoi, je te le demande, si on me prive d’analyses pertinentes, originales, loin de l’info institutionnalisée que tu peux lire sur n’importe quel canard. A force de faire dans la prudence, dans le timoré, on en arrive à ne plus rien dire. Ou à écrire ce que n’importe quel confrère écrit, a déjà écrit. En fonctionnaire de l’écriture!

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3 commmentaires à “Carnage de Nice, mais à quoi sert mon journal du matin?”

  1. Christian Campiche 16 juillet 2016 at 08:07 #

    Ici l’amnésie de la télévision française:
    http://www.slate.fr/story/121065/attentat-nice-nuit-tele-francaise-sombre

  2. Goupil 16 juillet 2016 at 08:19 #

    Bis repetita dans la presse aujourd’hui. Il n’est même pas 22 heures hier quand les agences flashent sur le putsch en Turquie. Tout le temps pour un journal pour changer sa une et publier un papier correct. Un journal de référence qui boucle à 21h00 n’a rien aujourd’hui, il « rattrape » en dix pages le carnage de Nice qu’il a loupé la veille. Le boulevard a glissé un petit deux col, pour sauver les apparences. Les quotidiens régionaux lémaniques font bien leur boulot avec un bonne partie de leur page étrangère consacrée à l’événement.
    C’est un classique, en été, les rédactions sont dégarnies. Les journaux ne sont pas préparés aux événements extraordinaires alors que tout le monde sait que c’est justement pendant les vacances qu’éclatent les événements violents (pour que personne n’en parle). Résultat: on délègue aux réseaux sociaux où c’est aussi le grand n’importe quoi.

  3. Yasmine Motarjemi 16 juillet 2016 at 08:25 #

    Bien dit. De plus, j ai fait l’expérience que l’information est manipulée et maquillée pour influencer, ou même tromper, l’opinion publique en faveur de la classe économique et/ou politique.

    Cependant, ce qui m’a étonné encore plus ce fut le discours et les explications des dirigeants, si pathétiques et si insignifiants devant la douleur inexprimable des familles. Alors que le peuple français pleure ses victimes, Manuel Valls, le Premier Ministre français, dit : « les français doivent s’habituer ! »

    Comment une telle catastrophe – avec un tel ampleur- a pu se passer malgré les dites mesures de sécurité, alors que la France était à son plus haut niveau d’alerte depuis les événements du 13 novembre ?

    Quelque soit la nature des risques et des incidents à Nice, à Orlando, et même en Andria (Italie), un point comment est des dysfonctionnements dans le système de sécurité. A chercher lesquels?

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