Pourquoi je ne fêterai pas le 1er août


Il fut un temps, pas si lointain, où le 1er août était fête de joie et de lumière. Parce qu’il rimait avec poésie et simplicité.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Cette magie a disparu devant le mirage de l’argent qui pervertit les moeurs. Symbolique est la saga de l’hymne helvétique. Jusque dans les années 1960 on chantait « A toi Patrie, Suisse chérie » sur une mélodie parodiant le «God save the Queen». La similitude des deux airs, en raison de l’embarras que cette situation provoquait lors des confrontations sportives opposant la Suisse à l’Angleterre, conduisit au changement d’hymne national.

«Sur nos monts, quand le soleil…». Un cantique mélodieux mais souffrant d’un problème de reconnaissance dans la mesure où personne ou presque ne retient les paroles. Ou n’a envie de le chanter, tout simplement. Les Helvètes ont-ils honte de manifester leur sentiment national?

Observez bien les joueurs dans un stade où évoluent des footballeurs suisses. Aucun son ne sort de leur poitrine mais les lèvres frémissent, leurre bien intégré dans leur bagage officiel grâce aux consignes de faiseurs en communication. Manifester un minimum d’empathie, alors que les Bleus, la Mannschaft et les Azzurri entonnent en choeur leurs hymnes et que leurs publics s’enflamment au son des accords de Rouget de Lisle, Haydn et Verdi. On n’ira pas jusqu’à dire que c’est pour cela que ces équipes gagnent souvent. Mais si l’Europe a tellement de peine à se faire, l’explication se trouve aussi peut-être là…

Reste que le symbole est tellement absent du coeur des Suisses qu’un nouvel hymne est à l’étude. Comme s’il s’agissait d’un produit marketing!

Egalement symbolique de la perte d’identité du 1er août est la tradition de l’allocution. L’occasion pour les politiciens de rappeler les motifs qui unissent les Suisses puisque c’est à cela que sert une fête nationale. Les ministres du gouvernement s’y plient consciencieusement mais leur présence sur quelques places de villes ou de villages ne suffit pas à rassasier 8 millions d’habitants, la population du pays. Ailleurs, des « people », acteurs, chanteurs, ténors de l’industrie ou clowns les remplacent avec plus ou moins de bonheur civique.

On ne saurait demander à la Suisse de revenir à l’époque bucolique où chacun défilait sobrement avant de regagner ses pénates. Le consumérisme n’étant pas encore une religion, le peuple réutilisait les lanternes des célébrations précédentes. On sortait les lampions repliés d’un coffre fleurant la naphtaline pour les accrocher allumés au balcon d’où l’on contemplait d’autres feux, ceux scintillant sur les monts.

On peut s’interroger par contre sur l’opportunité d’attractions qui n’ont rien à voir avec une commémoration mais se réduisent à un attrape-touristes, une foire, à l’image de tel spectacle aquatique qui sera organisé cette année dans les Préalpes, ou de ces feux d’artifice destinés à concurrencer Persepolis dans des prairies ravagées par les pneus des 4×4, au mépris d’une faune qui abhorre  les pétards. Qui nouera la gerbe? Le contribuable, bien entendu.

«On dirait que les Suisses sont devenus snobs», regrettait mon père, un Valdo-Genevois qu’animait le souci du service public, peu avant son décès, en 1989. Près de trente ans plus tard, je ne saurais lui donner tort. Voilà pourquoi, quitte à passer pour un rabat-joie, quitte à choquer les ténors nationalistes pérorant à grands renforts de mégaphones et de caméras de télévision sur la plaine mythique du Grütli, je ne fêterai pas le 1er août cette année.

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8 commmentaires à “Pourquoi je ne fêterai pas le 1er août”

  1. Martin de Waziers 31 juillet 2016 at 05:40 #

    Oui, cher Christian, nous ne sommes pas obligés d’assister aux fiesta un peu surannées des fêtes nationales mais, de là à les négliger et ne pas vouloir les fêter, c’est dommage!
    C’est dommage car elles sont symboles, venant du grec sun-bolein, qui à l’opposé du diable qui divise, nous réunissent et marquent, au moins une fois l’an, notre solidarité.
    C’est dommage car nous sommes dans un monde de plus en plus individualisé derrière nos écrans et que cette fête peut être une occasion de croiser le regard du voisin.
    C’est dommage car, à l’époque actuelle où nous sommes assaillis par des outrages à notre sécurité et notre paix, ces fêtes sont l’occasion de se rappeler que l’union fait la force.
    J’en fête quatre: 14 juillet pour la France, 21 juillet pour la Belgique, 30 juillet pour le Maroc… et je termine, en beauté, ce florilège le 1er août avec tous nos concitoyens!
    Alors, bonne fête à tous et que cette année soit, et je te rejoins là, une occasion de revenir à l’essentiel: la fête nationale doit aller bien au-delà des fanfreluches. Merci du rappel!

  2. Fattorius 31 juillet 2016 at 08:11 #

    Petite précision: l’hymne national italien n’est pas de Verdi, mais de Goffredo Mameli pour le texte (on l’appelle d’ailleurs “Inno di Mameli”) et Michele Novaro pour la musique.

    Et agaçante, navrante histoire que celle de ce “nouvel hymne national” qui, la Tribune de Genève le disait justement hier, “divise”. Si encore le texte était correct, si encore il pouvait susciter une quelconque émotion…

    Bon dimanche!

  3. Christian Campiche 31 juillet 2016 at 10:51 #

    @Fattorius: Merci de rendre à César!… Verdi est un tel mythe dans la péninsule que beaucoup de ses habitants sont convaincus qu’il a composé la musique de l’hymne italien, d’autant que l’air a été remodelé après la guerre pour être dans les tons de l’auteur du Nabucco, lis-je sur internet.

  4. Christian Campiche 31 juillet 2016 at 11:04 #

    @Martin: Je comprends ce coup de coeur même si ce n’est pas à la fête nationale en tant que telle que je m’en prends mais à ce que l’on a fait de l’un de ses symboles, l’hymne.

  5. Rochat Marie-Françoise 31 juillet 2016 at 19:20 #

    Merci, cher Christian, de dire en quelques phrases bien senties ce que je ressens. Je me rappelle avec bonheur mes 1er août août à Rossinière , l’hymne national que nous chantions tous devant le restaurant l’Hôtel de Ville car il y avait un petit balcon au-dessus de la porte et le Syndic pouvait juste s’y tenir debout avec son micro. Nous avions nos lampions avec le drapeau suisse que nous distribuait Mr Devenish avant de quitter le Grand Chalet. Ce soir là, le dessert était magnifique, de superbes chalets en meringues avec des petits drapeaux suisses en papier et des montagnes faites de double crème. Les personne qui nous servaient étaient en costume et nous nous régalions de ce folklore simple mais tellement beau.

    Quant à moi, je regretterai infiniment notre hymne qui ressemble à une prière et, je te l’avoue, peu m’importe que les footballeurs ne le sachent pas. Il me comble et cela me suffit.

  6. christiane betschen 31 juillet 2016 at 22:25 #

    D’accord avec Christian Campiche, la plupart des manifestations du 1er août, même à la campagne, manquent de simplicité. Je regrette les flammes vacillantes des lampions du cortège aboutissant au grand feu, seules lumières éclairant les visages des grands et des petits.

    Depuis l’introduction des pétards, des fusées et des feux d’artifices avec tous les bruits q’ils produisent, je me hérissais en pensant aux animaux, sauvages ou domestiques, qui tremblent à chaque coup perçu.

    Et, maintenant, avec les guerres qui ravagent le monde, ces bruits me font horreur. Je les entends comme des échos insolents aux bombes et aux fusillades qui tuent des innocents sur toute la planète.

  7. Michelle 1 août 2016 at 12:15 #

    Il semblerait en plus qu’il y ait beaucoup d’analogies entre la fabrication des engins pyrotechniques et celle des cartouches de fusils.

  8. Delaunay Geneviève 2 août 2016 at 16:09 #

    Cher Christian,

    dépourvus de clichés sur cette Fête Nationale, nous avons tous, ensemble : villageois, résidents, gens en promenade, immigrés, familles de passage, ou tout simplement curieux, très bien fêter le 1er Août en cette année 2016 ! Le soleil était de la partie ainsi que dans les coeurs aussi. En en plus de l’hymne national, les chants au village de Champéry étaient chantés avec ardeur par des groupes locaux remarquables. Ces chants souvent en patois local et donc issus de tous du Val d’Illiez, ont ému jeunes et moins jeunes. Même nos petits enfants frétillaient dans leurs poussettes ou les bras de leurs parents.
    Geneviève Delaunay

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