A Washington, Barack Obama voudrait conclure les négociations sur les accords TiSA et celui de l’accord transatlantique TAFTA/TTIP entre les USA, le Canada et l’UE avant la fin de son mandat à la présidence des Etats-Unis.
PAR JEAN-CLAUDE COCHARD
A Berne, notre pays doit s’engager dans une procédure difficile, en vue de l’élaboration d’un traité constitutionnel, qui devrait succéder aux accords bilatéraux qui nous lient à l’UE. A Genève, la Suisse est en prise avec des négociations plutôt discrètes, voir mêmes secrètes avec les 23 Etats qui se sont engagés dans la ratification des accords TiSA sur la libéralisation des services.
Le SECO dit que le secteur des transports publics ne figure pas sur la liste positive des domaines qui seraient déréglementés. Malgré tout, sur la base des informations qui ont été révélées par le biais de Wiki Leaks, des négociations ont eu lieu sur une série d’annexes. Lesdites annexes sont directement applicables aux pays signataires, même s’ils ont placé le secteur concerné sur leur liste d’exception!
En Amérique du nord et en Europe, la déréglementation des transports publics est déjà bien engagée et suscite la convoitise des sociétés transnationales actives sur ce marché en pleine expansion. En Suisse, l’OFT a aussi préparé le terrain pour une privatisation rampante des transports publics helvétiques. Les anciennes régies de la Confédération (PTT et CFF) ont été fractionnées en divisions autonomes afin de mieux pouvoir les privatiser le cas échéant. Enfin dans son rapport «Objectif 2030», l’OFT écrit qu’il veut ouvrir le secteur des transports publics à la concurrence.
En sa qualité de représentant du syndicat du personnel des transports (SEV) au comité de l’Union syndicale vaudoise (USV), le soussigné a réfléchi aux conséquences encourues par les entreprises vaudoises de transports publics si les accords TiSA étaient ratifiés par les Chambres fédérales. Le syndicat, à l’occasion de son «Assemblée romande» en 2014, aux Diablerets, avait déjà traité ce sujet et récolté des signatures pour s’opposer à la ratification de ces accords. Il avait même fait signer le directeur des TPC et le président du conseil d’administration, Fréderic Borloz, aujourd’hui conseiller national et président du PLR vaudois!
Mais que se passerait-il si les accords TiSA sur la libéralisation des services aboutissaient? Le soussigné s’est livré à un exercice prospectif sous la forme de scénarios imaginaires. Nous le publions ci-dessous.
TiSA à la CGN
Une société transnationale demande une autorisation d’exploiter un bateau de grande capacité sur la liaison internationale Lausanne-Evian. Mais la CGN, au bénéfice d’une convention d’exploitation qui lui accorde l’exclusivité de l’offre et qui se trouve donc en situation de monopole, estime que l’ouverture à la concurrence de cette ligne mettrait en difficulté l’équilibre financier de sa holding.
Avec le nouveau droit international, accepté par les Chambres fédérales, la Suisse doit appliquer les dispositions relatives au contenu des accords TiSA. La multinationale est en droit de déposer une plainte contre la CGN, pour concurrence déloyale, auprès d’un tribunal d’arbitrage privé. Une disposition prévue dans les annexes de l’accord TiSA. Les litiges sont traités par un tribunal d’arbitrage privé. Une instance supranationale qui bénéficie du droit de primauté sur celui des Etats signataires. Le plus souvent, ce sont des cabinets d’avocats américains, certifiés TiSA, qui sont chargés de régler les conflits d’intérêts relatifs aux procédures de démantèlement des monopoles publics. Ces avocats redoutables ont construit leur expérience au Pakistan, en Argentine, au Chili et ailleurs dans l’hémisphère Sud, avant d’agir en Europe centrale et en Russie après la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS!
L’Union européenne a signé l’accord transatlantique TTIP/TAFTA avec les USA et le Canada. Donc la Suisse, avec l’entrée en vigueur du Traité constitutionnel conclu avec l’UE, doit également appliquer le contenu de cet accord transatlantique!
Dans notre cas d’espèce, c’est un bureau d’avocats américains, certifié TiSA, qui fonctionne comme autorité de recours. Pour se défendre à armes égales, la CGN n’a pas d’autre choix que de confier la défense de sa cause, elle aussi, à un bureau d’avocats américains. On peut facilement imaginer la suite de l’histoire:
La CGN doit renoncer à sa situation de monopole. La multinationale, avec un navire de grande capacité, peut offrir des prestations tarifaires très avantageuses. Dans les dispositions de l’accord TiSA, la multinationale n’est plus obligée de respecter la CCT cadre des transports publics vaudois. Avec l’inversion de la norme sociale, les CCT d’entreprises ont la primauté sur les CCT de branches. Ainsi, la multinationale française peut appliquer, en Suisse, la réforme du code du travail que François Hollande a fait passer de force dans son pays!»
TiSA aux TL
«CarPostal SA, sur la base de son succès expérimental d’une navette automatique en ville de Sion, décide, avec la participation d’une grande firme d’informatique californienne, d’ouvrir une ligne urbaine automatique entre la plateforme du Flon et de la Place du Tunnel, sur l’avenue St-Martin. Les TL, au bénéfice d’un monopole public depuis l’ouverture de la première ligne de tramway, en 1896, font opposition à l’arrivée de ce nouveau concurrent en invoquant le fait que l’abandon de leur monopole les obligeraient à réduire le niveau des prestations sur l’ensemble de leur réseau urbain.
CarPostal SA, entend profiter au maximum des avantages fournis par l’accord TiSA, pour développer à l’international, son système de navettes automatiques urbaines, sans chauffeurs et décide de porter plainte contre les TL. Pour les avocats, ce cas de figure est bien connu. D’un côté, une entreprise publique dite «historique» au bénéfice d’un monopole non moins «historique» qui la place ainsi dans une position dominante. De l’autre, une ancienne régie d’Etat, également «historique», ayant saisi toutes les opportunités de l’ouverture vers l’économie de marché pour bâtir une activité internationale. Pour ce faire, CarPostal SA s’est associé à un géant de l’informatique pour promouvoir un nouveau mode de transport collectif. Les juges américains estiment par conséquent, que le recourant est freiné dans son expansion par la positon défendue par les TL, ce qui est parfaitement contraire aux dispositions de l’accord que la Suisse vient de ratifier. Le tribunal d’arbitrage privé souligne également que le maintien d’un monopole public a l’inconvénient d’accorder, en substance, aux organisations syndicales, une capacité de nuisance pour le fonctionnement des transports collectifs. Une situation que les juges américains qualifient de pénalisante pour le développement de l’économie de marché dans la vieille Europe. En l’occurrence et sur la base du nouveau droit des entreprises introduit sur notre continent, par la ratification du traité transatlantique TAFTA/TTIP, que la Suisse a dû reprendre dans le cadre de la procédure de reconduction des accords bilatéraux avec l’UE, CarPostal SA n’est pas obligée de respecter les dispositions contraignantes contenues dans la CCT cadre vaudoise des transports publics, mais peut choisir celle qui lui est la plus favorable sur le plan international!».
TiSA aux VMCV
«L’Hôpital de zone de Rennaz vient de s’ouvrir mais, suite à la mésentente entre les communes de la Riviera et celles du Chablais, le prolongement du trolleybus entre Villeneuve et Rennaz n’est pas encore réalisé. Une multinationale française, spécialisée dans les transports collectifs, propose de réaliser le projet à ses frais. En contrepartie, elle demande que ses trolleybus puissent également rouler jusqu’à Vevey, en alternance avec ceux des VMCV (Transports publics de la Riviera vaudoise). La compagnie publique, au bénéfice d’une concession d’exploitation qui lui assure une situation de monopole, refuse l’accès de son infrastructure à ce nouveau concurrent, en invoquant le fait que cela pourrait compromettre la rentabilité de son service public. La multinationale française dépose une plainte contre les VMCV, pour situation de monopole. Elle entend également profiter au maximum des nouvelles dispositions qui lui sont accordées depuis l’entrée en vigueur des accords TiSA et les dispositions relatives à l’accord transatlantique TTPI/ TAFTA. Donc la Suisse doit reprendre également le contenu de cet accord et adapter ses dispositions sociales et environnementales. Pour les employés des VMCV, au bénéfice d’une CCT cadre des transports publics vaudois, c’est une catastrophe. Avec l’inversion de la norme sociale, les CCT d’entreprises auraient la primauté sur les CCT cadres ou de branches. Ainsi, la multinationale française peut faire valoir, en Suisse, la réforme du code du travail, que François Hollande a fait passer, par la force, dans son pays!»
TiSA au MOB
«Une grande entreprise allemande de transport collectif, désormais connue pour ses bus inter-villes à deux étages de couleur verte et pour ses tarifs avantageux, décide de s’imposer en Romandie par une demande de concession sur la liaison Montreux/Interlaken, via Gruyères! Le MOB qui vient de mettre en service ses nouveaux trains à grande capacité entre les deux stations touristiques de renommée mondiale, fait opposition à l’arrivée de ce nouveau concurrent. La compagnie ferroviaire invoque l’importance des investissements qu’elle a consentis, avec l’aide des pouvoirs publics, pour le développement de ses bogies à écartement variable, uniques au monde et qui permettent de supprimer la rupture de charge en gare de Zweisimmen. Il faut dire qu’il y a péril en la demeure puisque l’opérateur allemand propose, comme ailleurs en Europe, un tarif très attractif pour ce trajet! Dans cet exemple, les dispositions de l’accord TiSA offrent à la multinationale allemande, la possibilité de recourir contre l’opposition formulée par le MOB.
Devant le tribunal d’arbitrage privé, le MOB est dans l’incapacité de sauvegarder sa situation de monopole, même en invoquant l’insuffisance de protection pour ses choix stratégiques pour le développement de son offre de transport avec des bogies révolutionnaires qui permettent de supprimer la rupture de charge entre le réseau du MOB et celui du BLS. Le monopole public du transport de passagers par rail n’étant plus conforme à l’esprit du traité commercial pour lequel la Suisse s’est engagée. En conclusion on peut dire que l’avenir du MOB est sérieusement remis en question sur l’un des itinéraires les plus profitables des trains touristiques de Suisse. Les consommateurs d’un marché totalement libéralisé ont désormais le choix entre, d’une part, l’offre ferroviaire qui emprunte un parcours pittoresque avec une montée en lacets au dessus de Montreux, avant de s’enfiler dans les gorges étroites de l’Hongrin et de la Sarine et d’autre part, l’alternative routière qui, par l’autoroute, propose la desserte du village médiéval de Gruyères. L’itinéraire routier en direction de l’Oberland bernois est parallèle à celui du train jusqu’à Interlaken. La multinationale allemande, tablant sur le taux de change défavorable UE/CH, peut proposer un tarif qui est très attractif pour une clientèle jeune et asiatique qui n’a pas vraiment les moyens de s’offrir les fauteuils de la première classe du MOB!»
TiSA aux TPC
«Un armateur nordique, qui s’est pris d’affection pour la sympathique station touristique des Diablerets, trouve que l’offre des transports publics n’est pas vraiment performante. Cet homme d’affaires, en relation quotidienne avec des multinationales, propose la mise en service d’une ligne de bus régulière entre Aigle et les Diablerets. Une société routière nordique soumissionne selon les règles en vigueur dans l’Union européenne, que la Suisse a dû reprendre dans le cadre de l’accord institutionnel signé avec l’UE. Les TPC, qui ont investi, avec l’aide du canton de Vaud et des communes des Ormonds, des sommes considérables pour la modernisation du chemin de fer, font opposition à l’arrivée de ce nouveau concurrent. La compagnie nordique fait recours contre l’opposition formulée par les TPC auprès d’un tribunal d’arbitrage privé, certifié TiSA. Les avis de droit de l’organe de recours ont aussi la primauté sur celui du droit des Etats signataires et sont également irrévocables! Par un hasard de circonstance, le litige entre les TPC et la firme internationale est délégué à un bureau d’avocats américains qui a pourtant l’habitude de travailler avec la compagnie de l’armateur nordique. Mais les dispositions de l’accord TiSA ne remettent pas en cause ce genre de situation. La procédure d’arbitrage n’est pas en faveur des TPC qui jouissent d’un monopole public historique depuis l’ouverture de la ligne de chemin de fer, en 1914. Enfin, l’OFT, dirigé par une ministre de droite, a encouragé son office des transports à ouvrir le secteur des transports publics à l’économie de marché (OFT, objectif 2030). Ces dispositions ont également fait l’objet de vives critiques de la part du syndicat majoritaire des cheminots, le SEV.
Dès lors la suite de l’événement est facile à imaginer: les TPC doivent renoncer à leur situation de monopole qui ne correspond plus aux dispositions internationales que notre pays a admises dans son droit national. Ainsi, le tribunal d’arbitrage privé accorde à la société de transport nordique, l’autorisation d’exploiter une ligne de bus régulière dans la vallée des Ormonds. Dans ses dispositions transitoires, le tribunal exige que les TPC accordent, au nouveau venu, un dédommagement pour le retard que son opposition a occasionné pour l’ouverture de la ligne de bus privée. La compagnie nordique a aussi fait valoir son droit de se soustraire aux conditions sociales, garanties par la CCT cadre des transports publics vaudois. Une disposition prévue par les annexes de l’accord TiSA!»
L’auteur est vice-président de l’Union syndicale vaudoise. Toute ressemblance avec des faits connus serait pure coïncidence. Texte écrit aux Avants en septembre 2016.