Les CFF «renoncent» à 1400 postes, titrait pudiquement un quotidien romand il y a quelques jours.
PAR CHRISTIAN CAMPICHE
La belle formule que voilà! Les grands fossoyeurs d’emplois de l’histoire n’y avaient pas pensé pour faire passer la pilule. Les actionnaires de Swissair, par exemple, auraient pu s’en inspirer après le «grounding» de l’année 2000, lorsque plus de 2500 collaborateurs perdirent sur travail. Déclarer qu’on y «renonçait» aurait été tellement plus élégant que de parler de licenciements!
Au moins ces décideurs n’eurent-ils pas ce cynisme. Car dans le verbe renoncer il y a l’idée de sacrifice. Au carmel, les religieuses renoncent au monde. Il en est de même pour les moines qui renoncent au costume-cravate en adoptant la bure. Moins spontanément et avec une infinie tristesse, telle politicienne vaudoise cède aux pressions de la base de son parti et «renonce» à une demande de dérogation à la limitation de son mandat.
Pour revenir aux CFF, l’auteur du titre de journal angélique énoncé plus haut verrait-il le transporteur sur rails comme un adepte du dépouillement au service de la communauté? Ce serait cocasse quand on considère que son PDG est l’un des fonctionnaires les mieux payés du pays! Ce dernier consentirait-il pour autant à réduire son salaire? Dans le même état d’esprit, notre chère régie serait-elle disposée à «renoncer» à l’augmentation prévue du tarif des abonnements, à la fin de l’année?
En «renonçant» à 1400 postes, les CFF n’ont certainement pas agi par altruisme. Le PDG ne gagnera pas moins. Et le prix de l’abonnement continuera de grimper. Pourrait-il en être autrement dans un système mû par la glorification de l’intérêt personnel au détriment de la collectivité? Je renonce à le croire.
Cher Christian, ce problème de “vocabulaire”, qu’à juste titre tu soulignes et critiques, relève d’un mésusage de langue française dont le contenu est éminemment politique et qui explique, en bonne partie, que juste derrière le désamour des populations à l’endroit de leurs dirigeants (chefs de gouvernements, politiciens et autres “réformistes” influents), on trouve une expression quasi identique de ce désamour “des gens” à l’égard des journalistes et de la presse (alignée-couverte) en général.
Comment ne pas penser à tous ces journalistes dociles qui, au risque d’égratigner un peu la sémantique des mots, ont su, avec beaucoup de talent, et souvent contre leurs propres convictions, propager le discours de leurs maîtres et patrons (“la voix de son maître) ?
Comment ne pas penser à eux, lorsque, mangeant (en toute frugalité) dans la main de leurs maîtres et patrons intéressés, les crocs de ces derniers se referment sur leurs nuques fragiles et à dessein recourbées ?
Les expériences forgent les consciences : à bas les licenciements, que ce soit dans les usines d’armements ou dans les rédactions !