Dimanche soir, on saura si la Suisse entend réellement “sortir du nucléaire”.
PAR PASCAL HOLENWEG
Ou si, comme le lui recommandent benoîtement les nucléocrates, les exploitants des centrales et les partis de droite (quoique leurs électeurs paraissent divisés sur la question), on attendra encore quelques dizaines d’années pour que se concrétise une “stratégie énergétique 2050” à laquelle ils feignent de s’être ralliés alors même qu’elle propose elle aussi une “sortie du nucléaire”, mais bien plus lente – et surtout, plus incertaine, puisque soumise au bon vouloir d’un parlement dont la majorité (UDC, PLR, PDC) ne témoigne pas forcément de convictions environnementales à l’épreuve des critères financiers (et des intérêts privés).
L’initiative des Verts a le mérite, essentiel de la clarté. On dit qu’on veut “sortir du nucléaire” ? Eh bien on en sort, sans barguigner, sans pinailler, sans attendre plus longtemps que nécessaire: on ferme Beznau I (le plus ancien réacteur en fonction au monde) l’année prochaine, Beznau II, Mühleberg (dont l’exploitant a annoncé la fermeture en 2019), Gösgen et Leibstadt 45 ans après leur mise en fonction (la durée moyenne de fonctionnement d’une centrale qui ne vous explose pas à la gueule), à moins que la sécurité de leur fonctionnement ne soit plus garantie, auquel cas on les arrêterait avant. Ce qui se veut vraiment s’énonce clairement: la sortie du nucléaire passe par un “oui” dimanche… Alors si vous n’avez pas encore voté, va falloir vous bouger: vous avez jusqu’à jeudi soir pour voter par correspondance. Sinon, c’est dimanche matin au local de vote…
442 centrales nucléaires sont en activité dans le monde (dont les plus anciennes se trouvent en Suisse), dont 99 aux Etats-Unis, 44 au Japon, 35 en Russie, 30 en Chine… et 150 dans l’Union Européenne, dont 58 en France… et une septantaine sont en cours de construction dans une quinzaine de pays. Pour arrêter ce délire, il faut bien commencer quelque part, et on peut le faire en Suisse, dimanche. Le vote en faveur de l’initiative s’impose d’ailleurs pour d’autres raisons que le principe de précaution face au risque d’accident et le principe de responsabilité face à l’irrésolvable problème des déchets. Les centrales nucléaires sont un gouffre financier: non seulement elles ne sont pas rentables, mais leurs exploitants se reposent sur l’Etat et sur les finances publiques pour assumer matériellement, le risque d’un accident dans une centrale nucléaire en Suisse. Ce qui n’empêche pas ces exploitants de menacer d’exiger des milliards de dédommagement si on les contraint à fermer leurs cocottes – minutes – être dédommagé pour devoir cesser d’exploiter un équipement déficitaire? on saluera la trouvaille…
Selon le dernier sondage Tamedia, l’initiative des Verts pour la sortie du nucléaire recueille toujours une majorité d’avis favorable, sans que l’on puisse garantir que cette sympathie se traduise en un vote dimanche prochain. Il n’empêche que l’écart de quinze points (57 % contre 42 %) entre les partisans déclarés de la proposition et ses adversaires déclarés (il n’y a presque pas d’indécis) est réjouissant, et prometteur (surtout en Suisse romande, où l’initiative recueille 63 % de “oui” dans le sondage, contre 54 % en Alémanie et au Tessin, et surtout dans les villes). Mais seulement prometteur (un autre sondage donne un écart bien moindre, et fait passer l’initiative à 48 %). Il ne dit rien en effet de l’exigence pour une initiative populaire d’obtenir non seulement la majorité des suffrages populaires au plan fédéral, mais aussi une telle majorité dans une majorité de cantons. Et là, le canton d’Uri pèse autant que le canton de Zurich, quarante fois plus peuplé… La gauche doit donc absolument maintenir son très fort soutien à l’initiative (à 95 % chez les Verts – mais qui diable sont les 5 % restants? – et 87 % au PS), et les sympathisants démo-chrétiens de la proposition rester fermes dans leur choix. Sans quoi, les petits cantons de Suisse centrale feront la différence. Dans le sens qui leur est habituel: celui du rétroviseur. On se retrouverait alors dans la même situation que les USA après ce qui leur tient lieu d’élection présidentielle? Une majorité d’électrices et d’électeurs votent Clinton? C’est Trump qui passe. Une majorité de Suissesses et de Suisses soutiennent l’initiative antinucléaire? Elle est quand même repoussée.
Alors, aux urnes, citoyennes et citoyens! Ne craignez pas d’en revenir à l’éclairage à la bougie et au chauffage au bois: le seul bois dont on risque de devoir se chauffer, c’est celui de la langue des nucléocrates…