Lettre de Fribourg à un ami lecteur – Cette année, tu gagneras une seconde, la chance que tu as!

J’pouvais pas passer décemment cette fin 2016 sans t’adresser un p’tit mot.

PAR PIERRE ROTTET

Une p’tite lettre. Oh, pas que j’attache une quelconque importance – et même aucune – à cette fin de calendrier de l’année encore en cours, qui s’efface pourtant pour un nouveau. 2017, dit-on. Qui ne changera rien. Ni le bonheur de ceux qui savent l’entretenir, le cultiver, ni la misère des hommes dans leurs décisions qui entraînent le merdier dans le monde. Pas davantage que la poisse qui traîne aux basques de certains. Rien! Malheureusement. Ceux qui affirment le contraire mentent.

Si au moins, en cette période de l’année, nos élus à Berne prenaient la seule décision courageuse jamais prise. Celle d’octroyer aux retraités un 13e «salaire». Comme à n’importe quel travailleur. Aux retraités, mais aussi aux chômeurs. Tu sais combien l’argent est bien plus nécessaire une fois atteint le statut de retraité: plus de temps libre pour aller boire un café ou l’apéro, plus de temps pour voyager, sortir. Plus de temps pour tout!

Crois-moi, ça coûte. Il faut le vivre pour le savoir. Des dépenses, à tout dire, que ceux qui bossent à longueur de journée n’ont pas. C’est autant d’économies pour eux. Que les retraités ne peuvent faire, ne peuvent se permettre, sous peine de passer à la maison, chez eux, autant de temps que ceux qui bossent sur leur lieu de travail. D’où ma ferme revendication. C’est vrai, ça, on est aussi des acteurs de cette société.

J’te vois venir. A tous, sans exception! Les grincheux, les carrément chiants, les toujours souriants. Aussi à ceux ou celles qui vivent péniblement la vie dans leur chair. Ou leur coeur. Qui regardent désormais passer le temps dans l’indifférence. Pire ceux qui le subissent sans pouvoir lui tourner le dos. A tous, t’as bien lu!

Bref, pour en revenir à cette transition d’une année à l’autre, je suis prêt à te l’affirmer, rien ne changera. Et ce n’est pas cette petite seconde qui montera à 11 heures, 59 minutes et 59 secondes, pour s’arrêter – le temps d’une seconde saccadée – sur le 12 de ton cadran, qui y changera quelque chose. Ni ne changera les couleurs de la vie pour qui sait les apercevoir, les apprécier, lorsqu’elle basculera de l’autre côté, versant descendant de ta breloque.

Ah si, j’allais oublier, cette année, tu gagneras une seconde. Qu’est-ce que cela doit te réjouir, que de savoir que l’ultime minute du 31 décembre 2016, année bientôt moribonde dans le calendrier des hommes, durera 61 secondes. Ouille, la chance qui est nôtre! Celle de vivre cette seconde, qui vise à ajuster par les hommes la rotation de la terre. Si, on me l’a dit. Je l’ai lu de plus…

T’as pas l’air de comprendre la portée de cet événement. D’en saisir l’implication. L’importance! Une seconde… Une! Une sorte de no man’s land dans cet univers. Une seconde, en équilibre en suspension, neutre entre 2016 et 2017, juste avant de basculer. A jamais. Une sorte de rallongement du défunt 2016, propre à te faire perdre patience pour prendre tes bonnes résolutions pour l’an nouveau. Celui qui, une fois de plus, ne changera rien. Absolument rien. Preuve en sont tes résolutions, donc. Que tu prenais déjà il y a 10, 30 ou 50 ans. Voire bien davantage! Et les mêmes de surcroît!

Une seconde, disais-je, ce n’est pas rien, t’en conviens. Elle serait comme suspendue par là, va savoir où. Intemporelle. Peut-être pour que la terre tourne mieux. Ouais! A vrai dire, si seulement elle pouvait tourner un peu plus rond, cette terre. Si seulement les décideurs et les salauds de ce monde pouvaient eux aussi tourner plus rond. Et un peu moins marcher sur la tête. Histoire de nous éviter les saloperies qui nous pètent quotidiennement à la gueule.
Mais là, vois-tu, faut pas rêver. Sauf peut-être si tu prends sur toi de t’isoler. Loin des médias. A la rigueur, en cas de besoin, mais alors vraiment, il suffirait de jeter un coup d’oeil ou une oreille sur l’un d’entre eux pour avoir le contenu de tous les autres. A quelques virgules près. A quelques certitudes près.

Bon, là je m’éloigne. Le temps, voilà quelque chose qui m’interpelle. Surtout si je me dis que je vais vivre une seconde de plus dans ma vie. Qui n’était pas programmée. Jusqu’à ce que je prenne connaissance de ce répit.

Moi qui n’ai parfois pas suffisamment de temps pour trouver tout ce que j’ai à faire en 24 heures chrono d’une même journée… Tu penses si j’ai accueilli avec bienveillance l’histoire de la seconde supplémentaire. Juste ce qui me manquait d’ailleurs. Pile poil. Ouais je suis content.

Pour une fois qu’un gain de temps n’est pas dû aux hommes, mais à la rotation de la terre, disent néanmoins les scientifiques. Enfin, ceux qui ont fait le calcul de cette seconde de bonus. Tu m’diras, avec raison d’ailleurs, qu’il faut bien prendre des décisions pour rétablir l’ordre des choses. C’est pas moi qui vais me plaindre de cette rallonge. Surtout, chose rare, qu’elle est offerte, gratuite. Et puis, pour une fois que le temps se donne un peu plus de temps pour s’écouler. Un peu à contresens de notre société d’ailleurs, qui tente, elle, d’en gagner, du temps. Sous prétexte d’une meilleure qualité de vie. Et là, vois-tu, là, nos politiques s’y entendent à merveille pour nous faire croire, enfin, pour faire croire au bon petit peuple, qu’ils travaillent à embellir notre quotidien. Pour le bien de tous. Mon oeil!

Tiens, il y a peu, on a ouvert le nouvel axe du tunnel du St-Gothard. Tu sais du reste combien ta TV a bavé sur l’événement, et nos quotidiens déversé de flots d’encre. Gagner du temps! Si au moins semblable préoccupation était motivée pour donner à l’homme de vivre un peu plus en famille, pour lui, de ne pas oublier de vivre. Tu parles! Pour nous rapprocher du boulot, les décideurs n’ont rien trouvé de mieux que de mettre le paquet, en décidant de miser sur la vitesse. De grignoter des secondes et des minutes pour rendre les hommes plus proches de la montre. Au détriment de leur vie. De la qualité de leur vie.

Résultat: 45 minutes de moins de Zurich à Lugano. 45 minutes! Pour des milliards dépensés. Moi j’veux bien qu’on mette de l’argent pour creuser un trou plutôt que de le mettre dans le trou sans fin des dépenses de l’armée… Perso, j’verrais bien aussi un truc compensatoire pour juguler les augmentations annuelles des caisses maladies.

45 minutes! Pour gagner un peu de temps et faire transiter une société, en mal de vitesse. Pour mieux donner à l’homme de disposer de quelques minutes de plus dans une journée. Histoire de bosser plus. De faire ses affaires. Des affaires! Et pour aussi que les marchandises qui se transbahutent du sud au nord et du nord au sud arrivent plus vite à destination. Tu l’as compris, c’est tout bénéfice. Surtout pour les bénéfices engendrés par ce gain de temps, qui s’en iront remplir plus vite les coffres-fort des multinationales. Les avoirs des actionnaires. Il y a des fois où je me demande si le lobbyisme ne sévit pas en Suisse également. Bon, d’accord, on a rogné des minutes… Même si je pense que la famille Dupont, en balade, n’en a que faire. Si ce n’est qu’elle puisera un peu plus dans son porte-monnaie pour se payer le trajet.

Plus vite. Toujours plus vite. Pour tout le monde? Je te laisse le soin de répondre.

Personnellement, j’ai bien ma petite idée. Tu la devines, n’est-ce pas?

Aller plus vite. C’est aussi ce que veulent les responsables des Transports publics lausannois, avec leur M2. Crois-moi, je suis le premier à être content pour les usagers. Surtout que leur temps de trajet passe désormais de 2 minutes 30 à 2 minutes 25 sur le tronçon Lausanne-Gare-Sallaz. Autrement dit cinq fois plus que la seconde que t’accorde l’ultime minute de 2016. Attends, c’est pas tout. Ouais. On passe en effet de 5 minutes à 4 minutes 45 sur le reste de la ligne. Quinze fois plus que «ma» petite seconde. Trente, si tu comptes le retour. Et ce en une seule journée. C’est dire que ma seconde en rabais de l’ultime seconde de 2016 fait un peu riquiqui. Mais c’est là une autre histoire.

La course aux minutes, aux secondes? J’suis pas vraiment convaincu que tout le monde y adhère. Pas sûr. Là également j’ai bien ma p’tite idée. En revanche, ce dont je suis certain c’est que lorsque je raconterai ça à Lima, j’suis pas convaincu que l’on me croira.

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