Lettre du 19e à un ami lecteur – Une école maternelle publique pas comme les autres où sont remis les outils de l’intégration et les bases du savoir

C’était une promesse.

PAR PIERRE ROTTET

La voici respectée, avec cette lettre pour te parler d’une école pas comme les autres, au coeur de Paris. Une école maternelle, où l’on y apprend – comme dans les autres maternelles – les rudiments censés donner aux gosses les instruments du savoir. Sauf que…

Au 41 de la rue de Tanger, à Paris, l’est une école maternelle publique peuplée de bambins, dont de nombreux issus de familles de l’immigration, récente ou pas, venus de tous les ailleurs de ce monde, principalement d’Afrique et du Maghreb.

Dans cette même rue de Tanger l’est aussi une surprenante singularité, peut-être bien unique à Paris, voire en France: à quelques pas des uns des autres, se touchent ou presque, les lieux de culte des trois religions monothéistes.

Laisse tomber ton stress, et même ton boulot. Termine ton verre et viens avec moi. Je t’emmène. Nous sommes dans le 19e. Un arrondissement populaire qui se taille une bien mauvaise réputation à Paris. Ceci expliquant cela? Une grande partie de sa population est composée de familles issues de l’immigration, d’une forte concentration de gens qui dépendent des aides sociales. Des cibles de qui tu sais, à la droite de la droite politique. A dire vrai, de la droite. Pas de raison de faire le distinguo entre l’une et l’autre droite. Sûr que je n’arrive plus vraiment à faire ledit distinguo entre ceux dont on dit qu’ils représentent une droite respectable et bien catholico-catholique, et les autres, avec lesquels elle tente de prendre ses distances. Sans convaincre! Et même pas du tout!

Pour tout dire, je te précise que je t’emmène dans l’arrondissement le plus pauvre de la capitale, – dixit le maire PS François Dagnaud, que j’ai rencontré dans les locaux de sa marie. Si si, un maire PS, tu sais, ce parti en perdition, cette espèce en voie de disparition en France. Et dans bien des ailleurs. Il semble survivre dans ce 19e. Résister à cette autodestruction à laquelle tu assistes…

Bref, un arrondissement, donc, avec ses avenues et ses rues. Dont celle de Tanger, avec sa mosquée attenante à la maternelle qui porte le nom de la rue et, en face de celle-ci, une paroisse catholique, son église. Alors qu’un peu plus loin, à quelques pas, se dresse une synagogue. Un quartier et une rue qui vivent, avec des commerces et des boucheries qui affichent la couleur: casher ou hallal. Entre autres…

Tu ouvres les yeux, une fois franchie la lourde porte en bois de la maternelle, ton regard porte immanquablement sur les murs d’un long corridor de la petite école publique. Tes yeux se fixent sur des centaines de dessins d’enfants, qui inondent les lieux de couleurs et de gaités. Tu marches! Il est long ce couloir. Très long, mais toujours aussi vivant avec ses dessins, ses peintures que la maladresse des gamins-artistes rendent plus explosifs dans leur créativité.

Et puis, au bout du bout de ce couloir, une porte. Qui ouvre sur un immense hall récréatif. Sur les classes que tu découvres si tu pousses ta curiosité au-delà de ce lieu de récré. Qui ressemble à un grand jeu pour gamins, avec ses chaises et ses bancs miniatures. Ne cherche pas à t’asseoir. Sous peine d’avoir de la peine à le faire. Et surtout bien plus de mal encore à te relever.

En pénétrant dans cette maternelle, tu ne peux pas les manquer, ces prénoms de pensionnaires de cette petite école qui défilent quelque part sur les murs: Ibrahim, Moustapha Faty, Abdoul, Aschraf, Mohamed, Salma, Mamadou, Fatma… entre un Antoine ou une Marianne, et même un Martin. Et j’en passe. La directrice, Nicole, joue les cicérones pour nous. Cette école, son équipe de 6 pédagogues, pour autant de classes, c’est son domaine. Sa vie! Depuis plus de quinze ans déjà! Tu l’as compris, c’est son monde. Sa vie. Enfin, une partie. Si l’on excepte sa famille…

La cinquantaine bien portée, qui te ferais te réjouir d’y parvenir, elle nous guide, croise l’un ou l’autre gamin, l’appelant par son prénom. «Oui, je connais chacun des mes élèves». Pas une mince affaire, un sacré exercice de mémoire: 135 enfants de 4 à 6 ans, dont une majorité d’origine africaine ou maghrébine, quelques gosses métissés ou asiatiques, une vingtaine venus de pays comme la Turquie ou encore des Balkans et une minorité de souche française. «Tous ces petits élèves, dans les mains desquels nous remettons les outils de l’intégration, les bases du savoir, ont droit à une école de qualité…» Elle y croit. Une condition si l’on sait ce que la société a de destructrice parois, lorsqu’elle s’y met pour faire croire aux égalités-fraternités-égalités chères aux discours martelés par qui un jour se découvre candidat à représenter les autres. A les tromper bien vite, ces autres.

«Il faudrait de vraies écoles mixtes. Ici, on compte trop peu de blancs, dans d’autres quartiers, c’est l’inverse: un noir par école. Et encore!», déplore la directrice de la maternelle. A ça aussi, elle croit. Je veux dire à l’école publique, à condition que l’Education nationale ne vienne pas trop semer la zizanie et donner plus de raison encore à ceux qui ne font plus confiance à ces machines à éduquer pour se tourner vers le privé. Une autre machine, celle-là. A créer des élites avant tout. Et des politiciens professionnels…

«Les parents qui ne font pas le choix du privé, de la fuite dans l’école privée, arrivent dans mon établissement confiants et sereins, prêts à me suivre dans tout ce que je peux leur proposer. Il suffit, dans la plupart des cas, qu’ils mettent un pied dans l’école pour renoncer à leur projet d’école privée…»

La rue de Tanger? Attends que je t’en fasse une description. Sommaire, bien entendu! Elle se trouve à un pas de l’avenue de Flandre, l’une des principales artères du 19ᵉ. Celle, si tu as lu ma lettre, en septembre 2016, je crois, qui «accueillait», plusieurs milliers de migrants. Depuis, tu l’auras appris par la téloche, par les images de celles-ci, ils ont été délogés. Aujourd’hui plus un seul n’apparaît. Ou alors il se planque drôlement.

Pas très loin non plus de la rue de Tanger se trouve, à deux enjambées, trois à tout casser, l’Avenue Jaurès. Là, preuve que je ne te mène pas en bateau avec ma lettre, on est à un jet des bateaux-mouches du canal de la Villette. De ses abords cossus. Là ou se donnent rendez-vous pour y vivre une partie des bobos du 19e.

Et puis, afin que tu n’te fasses pas de faux clichés, d’insister sur des clivages toujours possibles, comme pour affirmer que le 19e existe autrement que par une population venue d’ailleurs, de toutes les France du monde dans l’histoire, on trouve des centres réputés, à portée de jambes. De véritables références à Paris, comme la Cité des Sciences, la Cité de la musique philharmonique, le Centre 104… Et j’en passe, crois-moi.

Un îlot dans la capitale, que cette rue, ce quartier? Le maire du 19e arrondissement tempère mon propos. En souriant. Surtout il imprime à ce 19e, à la tête duquel il est depuis 2013, le charisme qui semble être le sien. Il m’assure vouloir l’étendre à ses quelques 190’000 administrés. Insuffler la solidarité et, au-delà, le dialogue et le respect entre les communautés ethniques et confessionnelles. Autrement dit, la marque identitaire d’une société métissée dans cet arrondissement, le plus pauvre de Paris, me confie-t-il.

Peut-être ne le sais-tu pas, son arrondissement concentre le plus grand nombre de logements HLM subventionnés de l’ensemble des arrondissements de la capitale: 40%. «Logique, on y dénombre aussi le plus grand nombre de familles en difficulté, issues de l’immigration, de la diversité. Y compris culturelle!». Je veux bien le croire, après avoir arpenté son territoire en ouvrant les yeux sur un autre Paris. Attachant à bien des égards, qui se découvre avec attention. Surtout à la veille de la présidentielle de mai.

Pour tout te dire, je ne suis pas loin de penser que dans ce ce quartier de Paris, peut-être plus que dans les autres, certains autres, on respire comme un bol d’air. Dont a bien besoin une société française de plus en plus exposée aux divisions et aux clivages politiques et sociaux. Aux peurs. En proie à la tentation du cloisonnement et du repli identitaire. Communautariste. Parfois déchirée, tentée de céder aux chants des sirènes. «Le FN fait moins de 10% dans notre arrondissement», le 4e plus peuplé de Paris, me dit l’élu PS. Pas étonnant, assurément, pour un endroit qui, sans éviter les tensions communautaires parfois, apprennent à les apprivoiser. Histoire d’en faire un atout du vivre ensemble. Une illusion de la convivialité? Pour cela, ouais pour cela, crois-moi, il vaut le détour. Qu’on s’y arrête. En prenant le temps d’observer ce monde vivre.

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Un commentaire à “Lettre du 19e à un ami lecteur – Une école maternelle publique pas comme les autres où sont remis les outils de l’intégration et les bases du savoir”

  1. christiane betschen 2 janvier 2017 at 10:30 #

    Un article qui fait plaisir à lire ! Heureusement qu’il y a encore quelques îlots de bien vivre ensemble !

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