Apprentis skieurs et pauvres bobets, tant qu’il y aura de la neige à Fribourg


Je suis suisse et je ne sais pas skier.

PAR ONCLE PHIL

Normalement, les Suisses savent skier, mais moi pas, je ne suis pas un Suisse normal. Pour les adultes, ne pas skier n’est pas un gros problème. Au contraire, je préfère passer mon temps à l’écart des pistes encombrées de beaufs dont l’excès de soleil cerne les yeux. Pour les enfants, ne pas savoir skier, c’est faire l’expérience d’une forme de division sociale propre à la Suisse, ce que mini Phil a eu l’occasion de découvrir durant son enfance à Fribourg.

Lors des sorties scolaires d’hiver, toute la classe prenait le bus pour aller dévaler les pentes enneigées. Une fois arrivés, les mômes étaient séparés en plusieurs groupes: les bons skieurs, les débutants et les lugeurs c’est-à-dire ceux qui ne tenaient pas sur deux jambes dans une descente. Reste la catégorie la plus cool de toutes: les snowboardeurs (ou plutôt les «boarders», «snowboardeur» c’était déjà ringard dès les débuts de la planche à neige). Tous les gamins qui avaient des skis ou des «boards» recevaient un ticket pour les remontées mécaniques; tous les autres suivaient la maîtresse avec une luge en bois, un bob en plastique ou des sacs poubelle vides. Ce dernier groupe, celui dont j’ai toujours fait partie, ne recevait pas de ticket pour les remontées mécaniques, mais il se contentait de sa paire de guiboles pour tirer son char en haut d’un talus enneigé. C’était un peu la «colline de la diversité»: pas des masses de Suisses à descendre sur les fesses. Les Steven Boschung et autres Héloïse de Weck ont pris le télésiège pour dévaler des kilomètres de pistes bien aménagées, pas comme Pedro de Sousa, Ardita Avdaroglu ou Philippe Humbert qui se contentent d’un relief de 150 mètres de longs sur lequel Woofix vient lâcher son fil durant la promenade matinale de son maître qui fait la tournée des buvettes. Je garde d’excellents souvenirs de ces sorties scolaires, mais avec le temps, je me rends compte que savoir skier ou non, ce n’est pas qu’une question de volonté ou de «culture». Si les parents des gamins n’avaient pas les ressources financières et personnelles pour apprendre à slalomer entre les sapins, on les parquerait plus volontiers sur la «colline de la diversité» qu’en haut de la montagne.

Aujourd’hui, les choses semblent avoir peu changé dans les environs de Fribourg. J’ai pu constater – en discutant avec des enseignants, des parents et des enfants – qu’il existe encore d’énormes différences entre les communes dans la façon d’organiser ces sorties. Pour faire court: les élèves scolarisés en ville passent au maximum une journée dans la station de ski la plus proche (voire zéro jour en fait); ceux qui sont dans certaines communes en périphérie passent trois à cinq jours dans un hôtel quatre étoiles sur des pistes un peu plus blanches dans les Alpes valaisannes! Donc il n’y a pas seulement sur les pistes qu’on divise les gamins, mais ils n’ont visiblement pas les mêmes prestations selon la commune dans laquelle ils sont scolarisés.

Heureusement, le réchauffement climatique fera bientôt fondre toutes ces inégalités! Les «boarders» branchés rejoindront bientôt les pauvres bobets avec des sacs poubelle sur la colline de la diversité pour ramasser les erreurs des gens qui les ont éduqués. A moins que les boarders ne dégotent une idée pour laisser le boulot à ceux qui descendent sur leurs fesses…

OnclePhil.ch

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2 commmentaires à “Apprentis skieurs et pauvres bobets, tant qu’il y aura de la neige à Fribourg”

  1. Huge 8 janvier 2017 at 14:33 #

    Bonjour Oncle Phil,
    Je n’ai pas le même souvenir et je me rappelle souvent d’enfants et camarades qui n’avaient surtout pas la chance d’avoir des parents qui puissent leur offrir le ski comme hobby et qui par conséquence optaient pour la luge ou le ski de fond alors que le ski leur était proposé.
    Les différentes écoles que j’ai fréquenté dans ma jeunesse et celles dont mes enfants font maintenant partie ont toujours offert et continuent d’offrir le ski à chacun, quelque soit leur status social.
    Peut-être peut-on rapidement s’attarder sur la pratique du ski qui peut s’avérer cruelle pour les débutants car rares sont les sports “grand public” dont la différence est si grande entre ceux qui commencent et ceux déjà habitués á descendre d’une traite une piste bleue, rouge ou noire! Pour cette raison beaucoup d’enfants optaient pour la luge ou le sac poubelle au détriment du ski…
    Bref je n’ai aucun souvenir de ce type d’exclusion et je crois pas connaître une classe sociale se réjouir du changement climatique…
    Merci d’avoir sollicité mon attention!
    Huge

  2. Oncle Phil 8 janvier 2017 at 18:24 #

    Merci Huge d’avoir réagi, votre commentaire est très intéressant! Rassurez-vous, je ne me réjouis aucunement du réchauffement climatique, il s’agissait surtout d’une touche d’humour ;-)
    Je ne sais pas où vous avez grandi, mais je peux vous assurer qu’entre les écoles de la ville de Fribourg et celles de son agglomération, il y a des écarts colossaux en ce qui concerne l’offre des classes de neige. Il est bien possible que les pratiques soient différentes dans d’autres coins de Suisse, et ce serait tant mieux.
    Bien sûr, c’est le propre de l’école de traiter tous les élèves de la même manière et c’est bien cela qui est problématique. Si l’on souhaite véritablement que tous les enfants puissent aller à ski, il faudrait alors fournir plus de soutien à ceux dont les parents n’en font jamais, ce qui implique non seulement des frais de matériel (ski, chaussures etc) mais aussi un engagement plus conséquent de moniteurs (eh oui, il faut que ceux qui n’ont jamais l’occasion d’en faire soient plus encadrés quand ils débutent). Alors ok, le ski n’est pas une branche éliminatoire, y a pas le feu au lac. En revanche, si vous songez à d’autres branches (maths, langues, géo, histoire…), la mécanique n’est pas si différente: les élèves dont les connaissances acquises en famille correspondent aux attentes de l’école auront généralement plus de facilité que des camarades moins stimulés – ou stimulés par des choses qui ne constituent pas un savoir important pour l’école – en famille. Lorsque des parents ne savent pas comment fonctionne l’accord participe passé avec l’auxiliaire “avoir”, les élèves ne partent pas vraiment avec le même bagage et malheureusement, l’orthographe et la grammaire n’ont rien d’un hobby à l’école et cela a des conséquences sur l’ensemble de la scolarité. Alors parfois, ces élèves trouvent de l’aide parce que les parents peuvent payer des cours d’appui ou parce que l’école soutient ce gamin, mais on a plutôt tendance à faire en sorte qu’ils se résignent à d’autres activités que l’orth. et la grammaire en se disant: “de toute façon, il n’est pas fait pour ça!”
    Je vous l’accorde, mon texte peut paraître caricatural, mais je vous assure que ces phénomènes ont des conséquences réelles sur l’avenir de plein d’enfants. De nombreux sociologues l’ont démontré.

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