Ainsi donc la période que nous vivons serait la plus faste de l’histoire de l’humanité.
PAR CHRISTIAN CAMPICHE
Le proclament l’une après l’autre l’Université d’Oxford et la Banque mondiale. A les lire, la santé, l’éducation, l’économie… la démocratie: tout fleurit, tout flambe. Tout s’apaise, en même temps: jamais il n’y aurait eu aussi peu de guerres sur terre. Huxley n’en aurait pas cru ses yeux. Lui le cynique qui voyait le meilleur des mondes s’installer grâce à une planification parfaite basée sur la soumission au programmateur suprême, un mélange subtil des sexes, l’absence de jalousie, une humanité sur les rails de l’harmonie infinie, sans laideur ni indigence. Docile surtout.
Les moyens à disposition des diffuseurs de slogans sécurisants sont si grands, leurs réseaux de communication si puissants, qu’une grande partie de la population serait tentée de prendre leurs boniments pour de l’argent comptant. Et de poursuivre son train train sans mauvaise conscience. Pourquoi agir autrement alors que la pauvreté «extrême » recule sans cesse et qu’elle touche désormais moins de 10% de la population mondiale?
Sur les ondes et dans les médias dominants on relaie que le paradis est à portée de main parce que les vaccins ont réduit la mortalité et que la libéralisation des échanges accroît la production de biens et services, la masse des revenus et les chances d’obtenir un salaire décent. Un dollar nonante. Oui, vous avez bien lu: 1,90 dollar! Tel est le niveau de vie quotidien qui permet au quidam de quitter son statut de damné et de pénétrer dans la catégorie supérieure. Celle où les pauvres ne sont plus en état de précarité extrême. Celle où ils n’ont plus le droit de se plaindre. Seulement le devoir de consommer.
Pour qui nous prend-on? Il fut un temps, après l’an 1000, où dans de larges régions d’Europe on pouvait espérer vivre plus longtemps et connaître une relative prospérité à l’abri de conflits dévastateurs. Puis à partir de 1300 survinrent épidémies, famines et guerres. Point n’est l’objet ici de jouer à l’oiseau de mauvais augure mais de relativiser un discours qui ne rend service qu’à une caste de technocrates obnubilée par l’idée d’instaurer un nouvel «avenir radieux». Aussi hypocrite qu’hypothétique à l’heure d’une course effrénée aux armements et des migrants qui déferlent sur l’Europe.
Cher Christian,
Si je te rejoins pleinement sur le thème de la pauvreté pas encore éradiquée et la consommation à outrance servant d’aphrodisiaque à l’humanité servile d’un pouvoir repu, j’ose espérer que l’on puisse garder un vocabulaire positif et optimiste, sinon, le risque est la débandade sociale menée par les populistes.
Alors que nous pouvons déplorer les derniers attentats, le monde n’a jamais été aussi peu bouleversé et le nombre de victimes aussi faible. Souviens-toi des années septante quand l’ETA, les basques et autres engeances de violence nous massacraient par milliers. Nos en sommes heureusement loin.
Pardonne-moi de dire que les media sont, en partie, responsables de cet aveuglement qui fait de nous des automates consuméristes, via la pub, et des misérabilistes convaincus, via l’exergue quotidienne des mauvaises nouvelles. Il est temps d’y remédier non par l’avenir radieux dont tu parles mais par des petites joies répétées.
Alors, sourions, nous sommes filmés!
Martin
Je te rejoins dans les grandes lignes mais je ne comprends pas à quoi correspond ce dollar nonante et d’où il vient: c’est un salaire décent pour les Etats-Unis? Pour le monde entier?
Pour les explications relatives au seuil de pauvreté:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Seuil_de_pauvreté
Ce niveau est donc assez relatif et subjectif car fixé par des technocrates de la mondialisation. En Suisse le seuil de pauvreté est déterminé par la
Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) qui le situait en 2014 en moyenne à 2219 francs par mois pour une personne.
L’important finalement est moins la définition que la manipulation, l’interprétation et l’incitation consumériste qu’induit cette notion. Le seuil détermine l’aide étatique, il y a donc des enjeux socio-politiques. D’où aussi un certain flou artistique. Un bon sujet de thèse!
Voilà une analyse concise, pertinente et percutante de notre “meilleur des mondes” post-moderne, telle qu’on aimerait la lire aussi dans “Le Temps” et autres médias d’audience dite internationale!… Jean-Louis Servan-Schreiber a cherché laborieusement des raisons d’Aimer, quand même, le XXIe siècle : “Nous sommes certes encore loin du meilleur des mondes possibles, mais la tendance est à l’humanisme et au plus grand respect d’autrui”, écrivait-il en 2012. On s’en rend compte aujourd’hui, bien sûr, chaque jour que Dieu fait, et cette “tendance à l’humanisme” qui nous crève les yeux nous change agréablement de plusieurs siècles d’obscurantisme… “Etait-ce mieux avant ?”, s’interrogeait ingénument Servan-Schreiber. Et, comme disait l’autre, n’y avait-il pas autant d’imbéciles au XIe siècle qu’aujourd’hui? Certes, rétorquait un homme d’esprit, mais ceux-là ont l’avantage d’être morts depuis longtemps! Plus sérieusement, Christian Campiche nous renvoie aux travaux de Régine Pernoud (Lumière du Moyen Age) lorsqu’il établit un parallèle entre les deux époques. La grande historienne du Moyen Age insistait sur le fait que si les famines avaient été nombreuses pendant cette période, elles avaient toujours été très localisées: en France, la valeur d’un ou deux départements, au plus, souffrant d’une année de mauvaise récolte. C’était aussi une époque où l’on ne massacrait pas un million de canards sous prétexte de grippe aviaire, sous-produit de notre belle mondialisation. Les épidémies? Si l’on pouvait dresser une liste de leurs victimes au Moyen Age, et mettre en regard celles de l’alcoolisme, du tabagisme, de la toxicomanie, de la mal-bouffe et des firmes de l’agro-alimentaire en ce début du XXIe siècle, il ne serait pas certain que le bilan soit à l’avantage de celui-ci…
J’apprécie cet article, car il propose un regard large sur le plan du temps et de l’espace.
Promettre n’est pas tenir. Quel que soit le monde que l’on nous promet, nous avons hérité de celui que nous avons. Bien ou mal, nous sommes contraints d’en faire quelque chose. À mon sens, ce qui distingue notre monde de celui des siècles passés consiste en un état de confusion entretenu par l’état de l’information – des informations plutôt – entre “infaux” et “infos”. Ce que l’on peut appeler l’actu tient d’une gageure. Manière de détourner notre regard d’autre chose qui se passe plus loin. Mais où, mais comment? Et pourquoi?
Dans cette difficulté qui nous enjoint à nous situer, le monde est devenu à la fois petit et grand.
Si l’on veut éviter de nous noyer dans la mer ce la confusion, quoi de mieux que rapprocher le proche et le lointain. Et à séparer l’information de la propagande et de la promotion d’idées, d’objets et d’actions.
Ambition grande et modestie à l’arrivée. Voilà mon souhait pour ce siècle que beaucoup d’entre nous ne verrons pas s’achever. Au Moyen Age, la pauvreté était un péché, elle redevient une punition et je le déplore pour tous les fragilisés de nos temps tonitruants.
Merci Christian, car ton article m’a permis d’écrire ces quelques remarques au fil de la pensée. Moi qui suit des nouvelles d’Afghanistan tous les jours depuis 2013. Au jour le jour, j’ai la sensations de vivre réellement entre deux mondes, la Suisse, l’Europe et de l’autre côté, l’Afghanistan et l’Asie centrale. Position inconfortable et très riche cependant.