Migros Magazine se fend d’une déclaration d’amour envers les banquiers suisses, peu populaires depuis 2008.
PAR JOËL CERUTTI
En presque dix ans, cela a changé, nous garantissent tous les responsables. Ouais. Face à l’éthique, les chiffres, ces sales cafteurs, disent un peu le contraire.
Lundi 9 janvier 2017, sur sept pages et demie, Migros Magazine m’explique que «Les banquiers magouilleurs, c’est du passé». En couverture, pose l’élégant et dynamique Jan Langlo, directeur de l’Association des banques privées suisses. Tout sourire apaisant, le doigt volontaire, il te désigne, toi le client qui dois l’aimer. Jan Langlo, et d’autres intervenants mâles cravatés issus de l’UBS, de la Raiffeisen, du Crédit Suisse et, bien sûr, de la Banque Migros, demandent qu’on leur signe un chèque en blanc sur leur nouvelle probité.
Ce qui était sale, pas propre, pas reluisant, pas net, pas joli joli, pas helvétiquement correct, se passait en dehors de nos frontières et AVANT 2008. Presque une décennie. Message: «Cesse de ruminer le passé comme une vache folle, change de pâturage mental». Les données du jeu ont changé avec des réglementations que je ne te dis pas combien elles ne rigolent pas avec l’éthique. Il faudrait aussi un peu arrêter de se focaliser sur «les bonus excessifs que touchent une petite minorité de personnes» (Harald Nedwed, président de la direction générale de Banque Migros). Ah, légère précision au passage, ce n’est pas le rôle des banques d’aider au démarrage des petites entreprises. «Les crédits ne sont pas un capital-risque», explique Edouard Duc de l’UBS.
Chacun – édito de Steve Gaspoz y compris – se dit qu’avec le temps, va, tout ne s’en va pas. Que l’on devra bien compter une génération pour que s’épongent les déboires de 2008 et la mauvaise image laissée par notre place financière. Et encore, il ne faut pas confondre ce que pense une certaine presse avec la satisfaction de la clientèle, toujours tant contente d’avoir un guichet et en face de soi «des employés que l’on connaît» (Harald Nedwed).
Encore faudra-t-il les voir ces «employés que l’on connaît».
L’an passé, l’UBS annonce la suppression de 2500 postes, comme pour suivre le mouvement initié par Crédit Suisse. Ce dernier, en février 2016, promet 4000 places passées à la trappe, avant de rectifier, en mai 2016, pour arriver à 6000. A cette date, 3500 postes avaient déjà été «biffés». La Raiffeisen balance la fermeture de 250 agences, en mars 2016, tout en jurant de créer des emplois. Sa succursale privée de St-Gall – Notenstein La Roche – rayera de son personnel un poste sur cinq, soit 400 collaborateurs, dans un proche futur.
Côté éthique, l’avant et après 2008 se traduit par des volées de procès – à l’étranger – qui n’épargnent pas HSBC Private Bank (bien mouillée déjà dans le Swiss Leaks pour 180,6 milliards). Dans certains cas, les faits reprochés courent jusqu’à 2011, comme c’est le cas pour l’UBS visée pour «blanchiment aggravé» en France. UBS qui, en 2012 et 2014, s’est pris dans les 200 millions d’amende pour «manipulation du marché» aux Etats-Unis. Toujours au pays de Donald, le projet d’oléoduc dans le Dakota Sud – souillant des terres sacrées des Sioux – date de l’an passé avec, comme investisseurs, l’UBS et Crédit Suisse. A leur décharge, ils n’étaient pas les seuls à mettre la main à la bourse.
Leurs moyens ne manquent pas. En juillet 2016, tu lis dans la presse romande, que Crédit Suisse, accorde des super bonus à 925 clients de marque – soit 240.000 francs par tête de pipe, donc un total de 222 millions, le triple par rapport à l’exercice précédent. Le DG de Crédit Suisse, Tidjane Thiam, s’offre une belle part de la galette royale avec 14,3 millions. De quoi faire passer Sergio Ermotti – de l’UBS – pour un freluquet avec ses 11,9 millions (chiffre de 2015, mais déjà 2,9 millions en rab qu’en 2014). La dizaine de membres du directoire de l’UBS a quand même vu ses bonus prendre 22% d’embonpoint (chiffres dévoilés en mars 2016). Sergio Ermotti qui, au passage, a corrigé le tir en mars 2016 avec 14,3 millions. Pile poil que Tidjane Thiam.
Mais, répète après Harald Nedwed, «les bonus excessifs que touchent une petite minorité de personnes».
A la base, les petits, les basiques, ceux derrière le guichet et que tu connais, ils ne dansent pas de joie. Celui qui voit dégringoler ses propres bonus de 100 000 à 15 000 balles, il peut s’en tirer une dans le coffre ou la tête. Endetté comme il est avec des crédits que ses potes lui ont accordé, cela tache le paysage…
Suicides et burn-out, paraît-il, se révèlent une valeur de plus en hausse. «Bien sûr, il y aura toujours une petite minorité de gens pour penser que ce que font les banques est de toute façon toujours mauvais», déplore Harald Nedwed. C’est vrai, ça, on se demande bien pourquoi…