A ceux qui naîtront après – Brecht ou quand la lucidité n’a pas besoin d’époque ni de circonstances

An die Nachgeborenen, « A ceux qui sont naîtront après », est un des importants poèmes de Bertolt Brecht (1898-1956) écrits dans la littérature de l’exil entre 1934 et 1938. Ce texte fait partie des poèmes de Svendborg, lorsque Brecht était réfugié au Danemark, et publié simultanément à Paris dans la revue « Die neue Weltbühne » en juin 1939.

La lucidité n’a point besoin d’époque ni de circonstances.

An den Schwankenden
Du sagst:
Es steht schlecht um unsere Sache.

Die Finsternis nimmt zu. Die Kräfte nehmen ab.
Jetzt, nachdem wir so viele Jahre gearbeitet haben
Sind wir in schwierigerer Lage als am Anfang.
Der Feind aber steht stärker da denn jemals.
Seine Kräfte scheinen gewachsen. Er hat ein unbesiegliches Aussehen angenommen.
Wir aber haben Fehler gemacht, es ist nicht zu leugnen.
Unsere Zahl schwindet hin.
Unsere Parolen sind in Unordnung. Einen Teil unserer Wörter

Hat der Feind verdreht bis zur Unkenntlichkeit.
Was ist jetzt falsch von dem, was wir gesagt haben
Einiges oder alles?
Auf wen rechnen wir noch? Sind wir Übriggebliebene, herausgeschleudert
Aus dem lebendigen Fluß? Werden wir zurückbleiben

Keinen mehr verstehend und von keinem verstanden?
Müssen wir Glück haben?
So fragst du. Erwarte
Keine andere Antwort als die deine!

Bertolt Brecht

(Aus Bertolt Brecht, Gesammelte Werke, Bd. IX, S. 678)

À ceux qui hésitent
Tu dis:
Pour nous les choses prennent un mauvais pli.
Les ténèbres montent. Les forces diminuent.
Maintenant, après toutes ces années de travail,
Nous sommes dans une situation plus difficile qu’au début.
Et l’ennemi se dresse plus fort qu’autrefois
On dirait que ses forces ont grandi. Il paraît désormais invincible.
Nous avons commis des erreurs, nous ne pouvons plus le nier.
Nous sommes moins nombreux.
Nos mots sont en désordre. Une partie de nos paroles
L’ennemi les a tordues jusqu’à les rendre méconnaissables.
Qu’est-ce qui est faux dans ce que nous avons dit,
Une partie ou bien le tout?
Sur qui pouvons-nous compter? Sommes-nous des rescapés, rejetés
d’un fleuve plein de vie? Serons-nous dépassés
ne comprenant plus le monde et n’étant plus compris de lui?
Aurons-nous besoin de chance?
Voilà ce que tu demandes. N’attends
pas d’autre réponse que la tienne.

Traduit de l’allemand par Olivier Favier. Avec l’aimable autorisation du traducteur.

Poème proposé par Sima Dakkus Rassoul

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