Dans un roman, le journaliste genevois Philippe Zutter raconte la vie de Gonzalo Guerrero, le conquistador renégat devenu héros au Mexique


Des effigies d’époque le représentent avec le visage et la poitrine tatoués. Bas du nez perforé, cheveux tirés en arrière et noués au sommet du crâne, il a tout du farouche guerrier Maya. Pourtant au départ, celui qui a épousé la fille du chef de la tribu des Cheles n’est rien d’autre qu’un simple  arquebusier ibérique.

Père du métissage, héros national au Mexique, symbole de la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme totalitaire, altermondialiste avant l’heure, Gonzalo Guerrero n’aurait jamais connu son destin hors du commun sans le naufrage, le 15 août 1511 au large de la Jamaïque, de la caravelle espagnole qui le menait vers Saint-Domingue. Le radeau de fortune sur lequel se sont réfugiés les rescapés échoue sur la péninsule du Yucatan. Fait prisonnier par les Mayas, Guerrero s’affranchira de sa condition d’esclave jusqu’à devenir un conseiller militaire écouté. Grâce à lui, les Mayas obtiendront des succès contre les troupes espagnoles au début de la conquête  du Mexique.

Cette apparente duplicité, qui correspond plutôt à un engagement motivé par l’admiration vouée aux représentants d’une civilisation millénaire au bord de l’anéantissement, vaudra à Guerrero de subir le poids du sceau de l’infamie dans sa patrie d’origine. Considéré comme un traître doublé d’un apostat, il vivra un profond drame personnel, déchiré entre son appartenance hispanique et son affection pour les peuples du Nouveau Monde menacés de génocide mais dont les cruelles superstitions heurtent son éducation catholique.

La bonne feuille que la Méduse a le plaisir de présenter à ses lecteurs est tirée du roman du journaliste genevois Philippe Zutter “Gonzalo Guerrero, un destin maya” (2017). Elle relate un épisode qui survient alors que l’ancien conquistador s’intègre de plus en plus au sein de son nouveau groupe ethnique. Il a épousé la fille du chef Na Chan Can. Or, son beau-père va lui demander un sacrifice énorme, celui d’immoler sa propre fille Ix Mo encore en bas âge pour calmer les dieux afin que cesse une invasion dévastatrice de sauterelles. Gonzalo et sa femme Ix Chel s’inclinent. Réd.

« Gonzalo, avec Ix Chel à ses côtés, suivait le cortège des enfants. Sa tristesse était telle qu’il ne pouvait articuler une parole. Voyant Ix Mo, qui avançait inexorablement vers son destin, il détourna son regard. Bientôt, elle ne serait plus. Et il se demandait comment il allait pouvoir supporter cette absence. D’ici moins d’une heure ce petit être enchanteur et plein de vie allait disparaître à tout jamais. Comment allait-il faire pour s’habituer à ce vide ? Il ne le savait pas.

« Quant à Ix Chel, elle se sentait morte intérieurement. Elle non plus, elle ne parvenait à prononcer un mot. Pourquoi lui arrachait-on la chair de sa chair? Pour sauver son peuple lui avait-on dit. Mais en tant que mère, elle ne pouvait s’accommoder de cette réponse. Et secrètement elle commença à nourrir une rancoeur tenace contre son propre père.

« Arrivé au bord du précipice, l’Ahaucan Mai, soit le grand prêtre et maître de cérémonies, aidé d’un ahkin, prêtre de rang subalterne, se mit tout de suite à l’oeuvre. Il saisit un bambin par la taille et le lança vigoureusement dans le vide. Le malheureux tomba directement comme une pierre et hurla jusqu’à ce qu’il heurtât la masse liquide gisant au fond du puits. Puis il fut submergé. D’autres enfants subirent le même sort.

« Vint le tour d’Ix Mo. La fillette fut précipitée dans l’immense cavité et commença par tournoyer en vrille. Elle poussa également de grands cris déchirants qui glacèrent l’assistance. Sa jolie petite robe bleue, réservée pour les grandes occasions, se mit en torche, ce qui eut pour effet de ralentir légèrement sa chute.

Gonzalo Guerrero , un destin maya” par Philippe Zutter, Editions à la Carte, 2017.

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