Je ne pense pas qu’il puisse y avoir quelqu’un au monde pour ne pas considérer avec dégoût l’attaque chimique en Syrie.
PAR PIERRE ROTTET
Hormis les auteurs criminels de cet acte odieux. Ou des fous furieux. Bref, tu le sais, cette attaque a fait des dizaines de victimes. Innocentes, bien entendu.
C’est pas que je ne veuille pas montrer du doigt l’horrible Assad. Le problème est que j’ai appris à me méfier du cynisme des pays occidentaux. Et tu n’es pas sans savoir qu’ils ont sacrifié bien d’autres pions pour parvenir à leurs fins. Et qu’ils ont en ont manipulé plus d’un. C’est assez dire que je me méfie. Simplement.
Alors on crie, on s’indigne. Avec raison. On montre d’horribles images. D’enfants y compris et surtout. Avec raison. Pour exploiter l’émotion bien compréhensible du peuple. Comme si, avec l’aide de nos médias, ont cherchait par avance à justifier d’autres horreurs à venir.
Et cela au nom des libertés. Lesquelles? Pas celles de Trump ni de Poutine en tout cas. J’ai du reste surpris une conversation téléphonique entre les deux, peu avant le tir de missiles étasuniens sur une base aérienne syrienne. Je te la reproduis. Je ne retranche ni n’ajoute rien.
Allô Vladimir? Donald!… Non, Trump, pas l’oncle de Picsou!…
Ah, cher ami. Que me vaut le plaisir? Tout va bien à Washington?
Oui, le problème, Vladimiro mon ami, ce sont tes sempiternels vétos sur la Syrie. Ça passait avec l’autre. Mais là, j’ai l’air de quoi, moi, avec ma fermeté de façade? Il me faut donner quelque chose en pâture à l’opinion. Montrer que j’ai de la poigne. Pas comme mon pétochon de prédécesseur, tu sais, comment se nomme-t-il déjà?
Tu veux parler d’Obama?
Exact, mon cher ami! Ecoute, Vladimiro, je vais lâcher quelques missiles là-bas. Histoire de donner le change. Avec les Français et les Englishs qui veulent de la fermeté, je ne peux pas faire autrement. Bon d’accord, ils ne comptent pas. Les Anglais ils sont déjà suffisamment em… avec leur brexit. Quant aux Français, avec leurs présidentielles… déjà qu’ils aiment à jouer les vertueux, à donner des leçons. A croire que la mémoire leur fait défaut. Tu les connais, ils aiment à faire croire qu’ils s’indignent, même s’ils sont pour beaucoup dans ce merdier syrien.
D’accord, Ronald! De mon côté, je pousse un coup de gueule, mon numéro de mise en garde. Fais tout de même gaffe… pas de victimes. Ou alors pas trop…
Des victimes, mon ami Vladimiro, mais qui s’en est préoccupé dans nos histoires respectives? Les remords, tu sais bien que c’est pour la galerie. Mais nous… les responsables…
T’as raison, Donald, le peuple aime les mises en scène. Et nos médias… j’te dis pas. Bon d’accord, moi je les tiens, ici. C’est pas comme chez toi, où certains se permettent d’être critiques à ton égard. Mais là, mon cher, tu leur en boucheras un coin… L’unité des voix du pays et des médias par missiles interposés…
Ok, Vladimir. Je te remercie pour le coup de pouce, qui servira à rehausser mon image dans l’opinion. J’en ai bien besoin, copain! D’ailleurs je n’oublie pas que c’est un peu grâce à toi que je suis ici, à la Maison blanche. Qui a bien mal porté son nom durant ces dix dernières années.
Allô, allô. Attends, ne coupe pas. Je viens d’apprendre que mes petits missiles ont eu leurs effets. Nos médias en parlent. Mieux, ils approuvent. Opération réussie mon cher Vladimir!
Je n’ai pas entendu la suite. Il y avait comme de la friture sur la ligne. Des écoutes? Mais crois-moi, ils donnaient l’impression de bien s’entendre, ces deux là.