Je rêve que je rêve


Nous sommes au XXIe siècle. Dans le monde tautologique et narcissique qui est le nôtre. 

PAR SIMA DAKKUS RASSOUL

Le film de Coline Serreau “Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux?”, 1982, représente une fable, une épopée drôle et dramatique sur le tournage d’un film publicitaire pour un produit, une voiture en l’occurrence. Se retrouvent danseuse, acrobates, comédiens, tous à la pointe de leur art. Les idées sorties de l’imagination du publicitaire font abstraction du possible et se révèlent irréalisables. Ainsi, on demande à une danseuse classique de faire des pointes sur le capot de la voiture qui est glissant, comme chacun sait. Mission impossible. L’évidence, allez-vous penser? On prend du retard. Un conflit se déclenche entre la production et le représentant du «produit» sur le paiement des heures supplémentaires. Les artistes, avec une belle distribution comme Coline Serreau sait les faire, font grève autour d’un grand feu pour une longue nuit. Et puis le jour se lève et la réalité reprend son droit. Celui du plus fort.

Comment mieux dépeindre, avec de l’humour dont la douleur n’est pas absente, la situation paradoxale de la culture. C’était, il n’est pas inutile de le rappeler, une image des années quatre-vingts. En avance sur son temps? Je dirais que les germes étaient déjà là, mis en exergue par l’œil de la cinéaste. Le sacro-saint face à face du matériel et du spirituel, de l’esprit de géométrie et de l’esprit de finesse. Un combat vain et improductif.

Quand on considère la situation de notre jeune siècle, on ne peut dire que la culture et l’art échappent à la confusion générale. Pour sortir du stérile échange de «à qui la faute», il suffit de regarder dans les yeux non seulement la situation, celle de l’art, mais encore le système dans lequel elle s’insère et, partant, l’abandon significatif de certaines valeurs dont la plupart ont trait à l’humain.

Et comme il s’agit de culture, le respect et la connaissance du terreau sur lequel se construit l’art est incontournable. «Terreau» n’est pas une métaphore ici. Comme pour la nature, l’environnement, social et politique, joue un rôle capital. Il ne s’agit pas de multiplication à l’infini de tout. Que signifie performance? Est-ce un pont entre différents arts? Ou un fourre-tout de ce qui n’a pas de nom?

L’artiste se mesure à la matière, à la nature de cette matière et ses exigences. Que ce soient des notes de musique, des couleurs, des textures, de l’humain pour les arts scéniques. Pour créer, on touche à du vivant. Sans dialoguer avec la matière, rien ne peut naître. L’esprit de rentabilité matérielle n’est pas le sel de l’art. Le rêve de l’impossible en représente la substantifique moelle.

Or, sous couvert de neutralité dont le pendant serait la liberté de l’artiste, on intervient assez vigoureusement dans ce processus de création. On cadre, on coupe et finalement, au nom de servir l’art et la culture, on dévie l’évolution artistique vers un système purement marchand qui prône le profit partout.

C’est dire que les responsabilités sont lourdes face à l’avenir de la création.

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