Balades à Lausanne à travers textes d’auteurs et dessins


Ce livre tout récemment paru se veut une invitation à «découvrir, ou redécouvrir Lausanne en plongeant dans l’univers et l’imaginaire de ses écrivains», en mettant ses pas dans ceux qui l’ont habité ou qui y ont fait un séjour.

PAR PIERRE JEANNERET

Le projet se justifiait pleinement. En effet, «Lausanne croit au livre». L’édition y a représenté depuis des siècles une activité importante, qui reste bien vivante, comme l’a montré l’historien François Vallotton dans plusieurs ouvrages consacrés à cette thématique. D’autre part, la vie littéraire y est particulièrement riche, surtout depuis le 18e siècle qui, relevons-le, fut notamment un siècle de femmes écrivains.

L’ouvrage se présente donc comme une anthologie. Les extraits des œuvres, par exemple de Charles-Albert Cingria ou de Jacques Chessex, y sont précédés d’une brève mise en contexte. Les «chapitres» sont consacrés soit à un écrivain, soit à un thème: cafés, hôtels, églises, écoles… Chacun d’entre eux est associé à une promenade, sous forme de plan, joliment imagé par les dessins colorés, légers et bien enlevés de l’illustratrice Fanny Vaucher.

Dans l’impossibilité évidente de les présenter tous, baladons-nous à travers le livre.

On y retrouve parfois un Lausanne du passé. Ainsi, pour Charles-Albert Cingria, la place du Flon évoquait un port: on y voyait en effet grues, entrepôts, camions. Aujourd’hui place de l’Europe, elle est devenue à la fois un nœud ferroviaire et l’ouverture au quartier réhabilité et branché du Flon. Pour les hôtels disparus, mentionnons celui du Lion d’Or, à la rue de Bourg, associé aux grands noms de l’historien Edward Gibbon et du docteur Tissot, «le prince des médecins et le médecin des princes». Blaise Cendrars, lui, séjournait au Château d’Ouchy, tandis que James Joyce avait une prédilection pour l’hôtel de la Paix, où il rencontrait Jacques Mercanton.

Sans doute le choix des concepteurs de l’ouvrage est-il subjectif et parfois aléatoire. Si Georges Simenon a longuement vécu à Lausanne (ou dans ses environs immédiats), cette ville n’occupe que peu de place dans son œuvre romanesque, par rapport à Paris, au Havre ou à La Rochelle. Mais pouvait-on ignorer un auteur aussi lu et aussi populaire?

Les différences de classes, bien que sous-jacentes, sont également présentes dans le livre. Alice Rivaz met le doigt sur la différence entre l’élégant boulevard de Grancy, avec ses grands immeubles bourgeois, et sa parallèle, l’étroite rue du Simplon, beaucoup plus populaire. Si Isabelle de Charrière de Sévery, Isabelle de Montolieu et René de Chateaubriand fréquentent essentiellement la noblesse, Panaït Istrati, le Gorki roumain, passe la nuit dans l’asile pour les pauvres et s’en trouve ensuite stigmatisé dans son passeport.

Parmi les écrivaines, une mention particulière pour Anne Cuneo. Lausanne a beaucoup représenté dans sa vie et dans son œuvre en partie autobiographique: les souffrances de l’enfance en orphelinat, mais aussi les découvertes et la conquête de la liberté pour l’adolescente puis la femme. Sans parler des enquêtes de l’héroïne de ses polars, l’enquêtrice Marie Machiavelli, qui va «généralement déjeuner au Couscous», le plus ancien restaurant de cuisine nord-africaine dans la ville.

Les auteurs de romans policiers n’ont donc pas été dédaignés. Comme le commissaire Wallander à Ystad chez Henning Mankell ou le commissaire Brunetti à Venise chez Donna Leone, l’inspecteur Alexandre Perrin, dans les polars de Michel Bory, est indissolublement lié à Lausanne. On appréciera aussi qu’une place ait été faite à Marius Daniel Popescu, figure originale de la littérature lausannoise car professionnellement conducteur de bus, ce qui lui a permis d’observer les banalités de la vie quotidienne.

Les jugements des étrangers sur la ville et ses bâtiments sont souvent fort critiques. Victor Hugo déplore la dégradation des églises catholiques depuis la Réforme iconoclaste: «Lausanne n’a pas un monument que le mauvais goût puritain n’ait gâté», écrit-il en 1842. On voit donc que les auteurs du recueil n’ont pas mis en avant que des textes laudateurs. Parmi les écrivains locaux, Charles-Ferdinand Ramuz se montre impitoyable envers l’évolution urbanistique et architecturale de la ville. Il dénonce notamment le massacre de la vue sur le lac depuis la place Saint-François, coupée dès le début du XXesiècle par les immeubles pompeux de la Poste et de la Banque cantonale vaudoise, faisant «écran opaque et définitif». Il est vrai que Ramuz se montre parfois passéiste, alors que Charles-Albert Cingria voudrait voir éclore de nombreux «gratte-ciel» comme le Métropole Bel-Air!

Quant au chapitre «Spectacles», il permet d’évoquer – toujours au travers des textes des écrivains mais aussi d’extraits de journaux – des salles aujourd’hui disparues: le Kursaal sur la place Bel-Air, le Théâtre des Faux-Nez à la rue de Bourg, l’ancienne Maison du Peuple de la Caroline qui accueillit tant de concerts, de conférences et de meetings.

La promenade dédiée à Benjamin Constant offre la possibilité de voir quelques-unes des plus belles maisons de maîtres de la capitale vaudoise. Quant aux dilemmes intimes de l’écrivain – faut-il ou non épouser Germaine de Staël? – n’annoncent-ils pas ceux de son personnage, l’irrésolu Adolphe?

Lausanne est-elle une belle ville? On peut en douter, avec son architecture hétéroclite et les nombreuses erreurs commises entre les années 1930 et 1960, voire au-delà. Mais nul ne lui contestera le nombre et la beauté de ses jardins publics arborisés. C’est par leur évocation, qui invite particulièrement à la balade, que se clôt l’ouvrage.

On ne peut que louer la qualité littéraire et graphique de ce livre, dont la direction a été assurée par Daniel Maggetti et Stéphane Pétermann, avec les plaisants dessins déjà signalés de Fanny Vaucher. Il est le fruit d’une collaboration entre la Ville de Lausanne, son Université et les Editions Noir sur Blanc de Vera Michalski. Il remplira bien son objectif de réveiller l’intérêt des Lausannois pour leur cité et de susciter celui des étrangers qui y séjourneront.

«Lausanne, promenades littéraires», Ed. Noir sur Blanc, 2017, 240 pages

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