Pujadas et l’odeur du sapin


Evincé du 20 heures de France 2, David Pujadas se victimise et prétend que «la décision n’a pas été expliquée». Cela fait plus d’un an que son supérieur hiérarchique, Michel Field, lui a annoncé la couleur. En plus, et pour une fois, il n’a même pas tort!

PAR JOËL CERUTTI

Aux temps où je regardais les JT de 20 heures, je m’adonnais au jeu pervers du zapping comparatif. Minute après seconde, je passais de France 2 à TF1, de TF1 à France 2. Devine le verdict? Sur la majeure partie des éditions, il n’existait aucune différence dans la hiérarchie des sujets. Les deux, aux mêmes instants, enfilaient des reportages identiques sur les sujets d’actualités. La logique rédactionnelle bégayait, que l’on soit sur une chaîne privée (TF1, payée par la pub) ou une chaîne dite de service public (France 2, financée par les redevances).

À part le logo sur l’écran, seul le présentateur indiquait où ta télécommande te conduisait. Je peux à présent remettre mes phrases au présent car la sauce reste identique en 2017.

Celui qui «incarne» un JT passe les plats d’une info calibrée et sans surprise. Sa marge de manœuvre millimétrée se révèle mince dans une mécanique trop huilée. Les interviews y sont chronométrées, l’expression cadrée, les angles formatés. De faits divers que l’on use jusqu’à la plus petite goutte d’hémoglobine en thématiques rabâchées d’une année à l’autre, le JT reflète une réalité biaisée par un prisme anxiogène. Il s’agit surtout de te conforter dans tes pétoches, que tu sois content de ton sort, que tu ne bouges pas d’un cil dans ton rassurant cocon.

Pendant quelques années, lorsque je bossais au Matin, mon ordinateur me donnait accès au fil des dépêches d’agences. Je te garantis que ce qui tombe contient des perles de nouvelles positives, d’enquêtes inédites, que les rédactions en chef écartent souverainement parce que la concurrence ne les traitera pas non plus. Dans ce formatage mutuel, l’originalité des médias ne rutile pas des masses.

Tu prends l’éviction de David Pujadas…

Mon-dieu-quel-malheur, il perd les manettes du JT alors que celui-ci avait des audiences presque comparables à celles de TF1… Et alors ? Traité ainsi, copié et collé d’un canard à une autre gazette, cela me laisse fort froid. Pratiquement personne ne s’est référé à une tribune de Michel Field – directeur de l’info sur France Télévisions – publiée le 17 mai (hasaaarrrrrrd…) dans Libération. J’ouvre les guillemets de Field : «Plusieurs défis sont à relever. Comment rendre visibles les invisibles ? Ces millions de Français qui ont le sentiment que les journaux télévisés ou les magazines ne parlent jamais des problèmes auxquels ils sont confrontés ou, quand ils le font, de le faire de manière partielle et partiale.» Cela ne t’étonnera pas quand je te dirai que la rédaction des JT sur France 2 s’est proclamée «indignée» par ces quelques lignes.

L’auréole Field ne brille pas toujours par son courage face au pouvoir politique. Pourtant, depuis avril 2016, il promet des réformes sur le 20 heures de France 2. De multiples accrochages entre lui et Pujadas l’attestent. Cela sentait le sapin depuis un moment, quoi… Quand le David vient, face à ses collègues, dire que cette «décision n’a pas été expliquée», mon œil, voir d’autres parties de mon anatomie un peu plus bas! S’il ne l’avait pas vue venir, c’est que, après quinze ans de JT, il porte de sacrées œillères face à la vraie réalité. Comparables à celles de «son» produit mis à l’antenne.

PJI

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Un commentaire à “Pujadas et l’odeur du sapin”

  1. Manuel Ruch 19 mai 2017 at 07:32 #

    Bravo! Excellent article. “un jour l’ennui naquit de l’uniformité”.
    Je me suis livré plusieurs fois au même exercice avec le même triste résultat. Navrant. A croire qu’un pur marketing normalisé définit la même personnalité de chaque chaîne alors même que de leurs statuts devraient venir des divergences, des originalités de sujets ou de traitements.
    J’avoue que personnellement je ne regretterai pas l’insipide Pujadas qui ne m’apportait ni fond ni forme.
    Merci de cet article.

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