Bertil Galland, témoin de la fin d’un monde

Secrétaire syndical, journaliste, éditeur, découvreur de talents, maître d’œuvre de l’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud, cheville ouvrière et premier président de l’Association Films Plans-Fixes, protecteur des paysages passionné d’aménagement du territoire, Bertil Galland, à 86 ans, continue de nous surprendre et de nous réjouir par ses écrits.

PAR JEAN-PHILIPPE CHENAUX

Celui que Thierry Meyer appelle le bon génie de la littérature romande se double d’un grand voyageur qui nous a conduits au début de son parcours d’écrivain aux Etats-Unis (La machine sur les genoux), dans l’Empire du Milieu (Les yeux sur la Chine) et aux pays des Vikings, sa seconde patrie (Le Nord en hiver).

Il renoue aujourd’hui avec le grand reportage pour nous emmener de Prague à Moscou, à travers huit pays de l’Est européen ravagés par le communisme, à l’heure de l’effondrement du Rideau de fer. L’Europe des surprises (Ed. Slatkine) est le palpitant récit de la dislocation du bloc soviétique, sans a priori idéologiques. On pense ici à la réplique d’Albert Londres: « Messieurs, vous apprendrez à vos dépens qu’un reporter ne connaît qu’une seule ligne, celle du chemin de fer. » Bertil Galland n’est pas du genre à s’attarder dans les chancelleries pour y recueillir des déclarations officielles. Il aspire à juger par ce qui s’observe en terrain brut et il croit à l’importance, pour le reporter, du travail des jambes, de l’œil, de « l’oreille qui capte des phrases qui volent », les événements naissant le plus souvent de l’inattendu. Il aime aussi recourir, face à un homme d’Etat, au véritable entretien qui dépasse le simple jeu des questions et des réponses.

A l’instar d’un Aldo Dami dans son Histoire territoriale de l’Europe (1900-1975), notre grand voyageur nous aide à comprendre l’extrême enchevêtrement des ethnies entre Carpates et Oural et l’émergence subite de nouvelles frontières. Les horreurs d’Auschwitz, les souffrances endurées par les populations déplacées, avec le viol institutionnalisé et des morts par millions, l’assassinat de plus de 15’000 officiers polonais sur ordre de Staline dans la région de Katyn lui inspirent des pages saisissantes. (Et dire que Jean Vincent avait nié les conclusions du rapport du professeur François Naville sur Katyn et réclamé au Grand Conseil genevois sa démission du poste de directeur de l’Institut médico-légal de l’Université de Genève !)

Les entretiens de Bertil Galland avec des confrères journalistes, au siège de rédactions parfois divisées en deux blocs irréconciliables, ou ceux avec de jeunes entrepreneurs fraîchement libérés des chaînes du collectivisme et du «grouillement permanent et honteux des indicateurs» jettent une lumière crue sur la fin de l’ère soviétique et le grand basculement des années 89-91. En Lituanie, la reconquête sans armes de l’indépendance nationale s’est faite dans un bain de sang imputable à Gorbatchev. L’auteur s’étonne de la passivité, face aux événements survenus dans les Etats baltes, de voisins comme la Finlande et la Suède : surtout ne pas provoquer l’ours, même s’il perd ses crocs !

L’échec culturel de l’URSS est aussi patent, mais Bertil Galland voit dans le génie russe « une composante essentielle de l’Europe ». Ce génie éclate notamment dans les nouvelles et récits de Tchékhov, qu’il relit le soir avant de s’endormir comme remède absolu à ses mélancolies…

Lorsque Tinguely, en 1990, est fêté à Moscou, notre reporter est témoin d’une scène surréaliste : l’icône fribourgeoise fait le procès de la société de consommation et l’éloge de l’art prolétarien, des films « joyeux, patriotiques et optimistes » créés « sous la direction immédiate de Staline », à l’heure même où le Système s’effondre et où une grave pénurie alimentaire sévit à Moscou…

Cette saga aux multiples rebondissements s’achève sur les rencontres d’Erice consacrées à l’examen des urgences planétaires. Bertil Galland, pendant plusieurs années, y tutoie les sommités scientifiques des deux superpuissances, alors qu’un pape « qui use d’un missel comme d’un missile » vient y proclamer que « science et foi sont l’une et l’autre des dons de Dieu ».

A lire de toute urgence pour mieux saisir les mécanismes et les principales étapes de la fin d’un monde !

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3 commmentaires à “Bertil Galland, témoin de la fin d’un monde”

  1. Bernard Walter 4 juin 2017 at 22:03 #

    Cette représentation manichéenne de l’Histoire est désolante.
    Comme nous le savons bien, et « sans a priori idéologiques », l’Occident n’a cessé de répandre depuis des siècles ses “missels missiles” de par l’univers. A l’apogée de son Histoire, nous avons eu les glorieuses périodes qui vont de 1914 à 1918 et de 1939 à 1945.
    Et aujourd’hui, cette civilisation à nulle autre pareille s’est trouvé une icône qui fait rêver et ouvre les portes sur un futur radieux, je veux parler, tout le monde l’aura compris, de Donald Trump, maître des USA qui régentent le monde.
    Décidément nous sommes les meilleurs et le modèle suprême.

  2. Philippe Zutter 8 juin 2017 at 16:24 #

    Je ne vois pas de représentation manichéenne de l’Histoire dans l’article susmentionné. Il semble donc malséant aux yeux de M. Walter de rappeler que l’expérience collectiviste à la soviétique à été un échec patent. Ce constat étant fait, rien n’empêche quiconque de critiquer M. Trump.

    Philippe Zutter

  3. Bernard Walter 9 juin 2017 at 07:37 #

    Faisons le bien autour de nous.
    Changeons de système de vie en commençant à notre modeste niveau.

    A l’échelle mondiale, le capitalisme est le stade suprême de l’horreur. Il mène à toutes les catastrophes. Sa valeur unique est l’argent et il va semer la guerre partout dans le monde : guerre aux hommes, guerre aux animaux, guerre à la nature. En toute circonstance il fait la leçon au monde. Les coupables sont toujours les autres. Il donne des prix Nobel de la PAIX à Kissinger et Obama. Il écrase Bruno Manser, Sankara, Allende, Martin Luther King, le monde arabe, les Noirs et les Indiens.

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