Nonante pour cent. Enfin, à quelques poils. T’en connais beaucoup, toi, des scrutins qui mobilisent à ce point les électrices et électeurs?
PAR PIERRE ROTTET
Et des jeunes… Autant de jeunes? Ouais, tu l’as compris, ce 18 juin est à marquer. D’une pierre. Une pierre nommée liberté. Enfin… pour faire au plus court. 18 juin? Une sorte de nouveau 23 juin, près de 43 ans après celui de 1974, pour les prévôtois, certes, mais aussi pour les Jurassiens, du Nord au Sud du Jura historique.
C’était le 23 juin 1974. Ce jour-là, à Delémont, à quelques minutes près, l’ensemble des 7 districts du Jura avait dit « Oui » au Jura. Contre toute attente. « Oui » à la création de la République et canton du Jura. Ils déjouaient ainsi tous les pronostics. Surtout ceux de Berne. Lequel avait prévu un additif constitutionnel complètement écrit à son avantage, stipulant que les districts minoritaires allaient pouvoir revoter. Et faire le choix de se séparer. Un canton, certes, mais démembré!
Les plébiscites en cascades, en particulier celui du 16 mars 1975, révélaient l’absurdité de ce jeu malsain à la bernoise, puisque ce ne sont pas les trois districts du Nord qui allaient comme le pensait Berne se détacher du Jura historique. Et donc de Berne. Mais bien les trois districts méridionaux qui choisirent de se détacher de leurs racines historiques jurassiennes et demeurer artificiellement bernois. Le districts alémanique de Laufon, ayant fait le choix linguistique logique de rejoindre Bâle-campagne.
Ce 23 juin 1974, il pleuvait la liberté, avait dit Roger Schaffter, l’un des Père du Jura avec Roland Béguelin, du haut du perron de l’Hôtel de ville de Delémont. Le soleil du 18 juin à Moutier s’est chargé de remplacer l’orage. Mais pas de sécher les larmes. De bonheur. Les mêmes qui coulèrent alors à Delémont. Des émotions vécues. Aussi fortes. Ou presque! 43 ans plus tard, 90%! Du jamais vu en suisse sans doute. A faire pâlir une Suisse en déliquescence avec ses participations aux différentes votations. A faire pâlir… bien des pays. Y compris la France. Avec un second tour de législatives, ce même 18 juin, qui n’a guère mobilisé plus de 40 pour cent de l’électorat!
Dit en passant, je suis tout de même surpris de voir la RTS, sur sa Première comme sur sa Deuxième, ne même pas consacrer ne serait-ce qu’un flash ni un filet au bas de l’écran pour informer sur cet événement. Historique pourtant. Je ne galvaude pas le terme dans le cas présent. L’une des chaînes déroulait un film débile. L’autre une rencontre de foot…
Sur les chaînes régionales, en revanche, m’a-t-on dit, une grosse mobilisation. Avec un camp pro-bernois balançant entre l’acceptation de la défaite et la colère ou l’amertume. Beaucoup prétendent que là s’arrête le combat séparatiste. Ceux-là une fois de plus se trompent. Comme se gourent nombre de commentateurs… De journalistes, bien entendu. Après Moutier, tôt ou tard, le reste du Jura suivra. Ça n’est qu’une question de temps. Entêté? Non! Le goût de dire non à l’inachevé!
Tu vois, l’ex-activiste que je suis est dans la bonheur aujourd’hui. Surtout parce que cette étape prévôtoise, victorieuse, en appelle d’autres. Parce que le combat jurassien a toujours été celui de l’ouverture à l’autre. Bien loin des nationalismes bêtes et méchants de tant d’ailleurs. De Delémont à Moutier, j’y étais. Pour assister à la création d’un Etat il y a plus de 40 ans. Pour constater son agrandissement quelques décennies plus tard. C’est pas banal, crois-moi… Et c’est pas fini!
Oui, Moutier est rentré à la maison. En attendant les autres. Et j’ai encore dans mes oreilles l’idiotie bête et méchante de ce leader pro-bernois: «Moutier, c’est Fribourg… la poubelle du Jura». Sans commentaires! Sauf que l’insulte en dit long sur les gens contre qui nous avons été dans l’obligation de nous battre. Une insulte, disais-je, pour le Jurassien que je suis, le Fribourgeois que je partage, entre le Suisse et le Péruvien. Une insulte pour mes petits-enfants, ma fierté, qui n’hésitent jamais à revendiquer leurs racines entre le Jura, Fribourg, la Suisse et le Pérou. Et bien des ailleurs.
T’as vu les visages de mes amis, ces Jurassiens accourus ce dimanche à Moutier, pour fêter cet épisode? Tournés vers l’avenir… Tu vois, l’Histoire du Jura, c’est aussi une histoire de fidélité. De fidélité à une idée, à une passion par goût de réparer une injustice. Et puis aussi, une histoire d’amitié. Ce que nos adversaires n’ont jamais compris. Une notion qui leur échappe et qu’ils ne comprendront jamais. Ils ne seraient pas dans le camp de Berne sinon. N’est-ce pas?