Débrancher l’Amérique


En Europe, on parle des décroissants. En Amérique on les appelle «off the grid», les débranchés.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Ils seraient environ un million, ces citoyens américains, à avoir coupé les ponts avec la société de consommation, ce qui signifie que des femmes, des hommes et des enfants vivent en autarcie dans les bois, se nourrissent de plantes, de racines et de la chasse, boivent l’eau de source. Ils construisent leurs maisons de leurs mains et peuvent utiliser l’énergie solaire pour s’éclairer et se chauffer. Le nombre des débranchés augmenterait tous les jours ce qui fait de cette minorité un pôle de plus dans la mosaïque américaine qui n’en manque pas, un contrepoids intéressant à l’Amérique profonde et à celle des métropoles branchées.

Après les événements de Charlottesville, les prises de position controversées du président Trump, jugées complaisantes à l’égard de l’extrême-droite raciste, ont exacerbé les tensions culturelles dans un pays déjà pétri de contradictions. Les médias trouvent très bien de relayer l’image de manifestants s’en prenant à la statue d’un soldat sudiste de la guerre de Sécession. C’est tout juste s’ils ne l’assimilent pas à un tortionnaire nazi. Leur malheur est que dans les Etats du sud profond, la mémoire n’est pas aussi sélective. Le général Lee qui commanda les troupes sudistes y est vénéré comme un héros.

Une nouvelle guerre civile pourrait-elle éclater en Amérique du nord? Les Etats-Unis restent un pays violent, cultivant des lignes de fracture héritées d’un passé de colons. A-t-il jamais formulé des excuses officielles pour le génocide des amérindiens? Jusqu’au milieu des années 1960, il était impensable pour un Noir de s’asseoir dans un bus à côté d’un Blanc. Que dire de la ségrégation qui persiste aujourd’hui dans les banlieues?

A force de surfer sur le quadrilatère des GAFA, Google, Amazon, Facebook, Apple, les milliardaires du web, on en avait oublié l’autre Amérique, celle des grands espaces nourriciers qui vit repliée sur elle-même et pense que la Suisse et la Suède, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Tout au sud de cet univers sans piétons où les voitures de police tournent comme des chacals, on voit encore des femmes noires en tablier blanc servir l’élite. La même qui élit Donald Trump?

L’autre extrême, mieux véhiculé car il a les faveurs de l’information dite “mainstream”, vibre au rythme hyperactif de la finance et des techs à Chicago, New York, Boston et Frisco, là où les journaux pensent qu’ils sont les meilleurs du monde. Dans cet univers où fleurissent les réseaux multi-culturels, les universités et les industries évoluent à la pointe de la recherche, les intellectuels parlent comme Woody Allen. Cette Amérique-là vote démocrate, elle donne des leçons de libre-pensée à l’ensemble de la planète mais oublie que ses périphéries explosent parfois au rythme des complaintes des laissés-pour-compte de couleur.

Il serait grand temps que la politique américaine intègre sérieusement les options de ses minorités. Les débranchés, par exemple, aux réalisations beaucoup plus concrètes que tous les paraphes de l’accord climatique de Paris. Avec Trump il faudra attendre quelques années. Même si d’aucuns le voient disparaître très prochainement de la scène, entraînant dans sa chute le système népotique qu’il a institué, le monde ne reprendra pas pour autant un cours moins manichéen. Les anciens démons vont s’accrocher. En cas d’un départ précipité de Trump, il incomberait au vice-président Pence de lui succéder. Un homme nettement moins flamboyant et conflictuel mais quelque part beaucoup plus idéologique: il s’affiche en adepte de l’évangélisme dans ce qu’il a de plus conservateur. Autant dire que le débranchement n’est pas encore pour demain.

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2 commmentaires à “Débrancher l’Amérique”

  1. Edgar Bloch 23 août 2017 at 09:39 #

    Une très bonne analyse de la complexité des Etats-Unis, un Etat encore très jeune par rapport à la vieille Europe souvent très jalouse et méprisante envers ses réussites également et qui a sauvé le Vieux-Continent, en intervenant à deux reprises aux 20ème siècle, notamment pour la sauver de la dictature nazie. On a tendance à l’oublier un peu ici. .

  2. brigitte 2 septembre 2017 at 05:43 #

    Très bon article mais n’oublions pas que la Suisse a aussi vécu ce phénomène. On se souvient des Are Krishna défilant dans les rues de Lausanne avec à leur tête un chef allumé nommé Jean Michel et son âne pour mieux imiter le Christ. Sans oublier le Patriarche et sa communauté installés dans le canton de Vaud En 68 de nombreuses mentalités nouvelles ont vu le jour grâce aux drogues arrivées des Etats-Unis et des théoriciens New-âge avec leurs habitudes alimentaires et éducatives n’ayant jamais donné de bons résultats.
    Tout ce petit monde bien décidé à changer us et coutumes partout ou les adeptes auraient réussi à capter des esprits trop naïfs.
    Et la plupart de ceux bien décidés à vivre en autarcie ont fini par grossir les rangs des sociaux ou ont fini en psychiatrie tandis que d’autres ayant réalisé que le système communautaire comportait plus de risques que d’avantages se sont suicidés.
    Face de bouc et autres réseaux antisociaux produiront ce que tous les adeptes au premier réseau Caramail ont vécu, après avoir réalisé que nombres d’amis étaient morts tandis qu’eux se croyaient plein d’amis virtuels. Ils ont préféré se déconnecter du virtuel et se replonger dans la réalité seule source de bien-être pour régler leurs propres problèmes.

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