Trois questions à Blaise Lempen, auteur du livre “Le nouveau désordre mondial”


La Méduse: Blaise Lempen, vous êtes l’auteur du livre « Le nouveau désordre mondial – De la chute du communisme à la montée des populismes », (Georg, 2017). Votre ouvrage est remarquable en ce sens qu’il ajoute la réflexion du philosophe au regard du journaliste, deux vocations qui vous ont accompagné durant la plus grande partie de votre existence. Par exemple vous contredisez d’emblée totalement Francis Fukuyama. Vous ne croyez pas à l’homme nouveau, au progrès linéaire, réversible. Nous ne sommes pas à la fin de l’histoire mais à son début, écrivez-vous.

Blaise Lempen: Oui. Fukuyama a publié ses célèbres analyses au début des années 1990. A l’époque l’effondrement du communisme, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud et des dictatures en Amérique latine étaient des raisons de croire que la démocratie libérale l’emporterait dans le monde entier. Malheureusement dès les années 2000, la montée de l’extrémisme violent, du terrorisme, des interventions américaines maladroites, le retour du nationalisme et diverses formes de populisme dans les démocraties avancées ont donné tort à cette vision optimiste. Les printemps arabes se sont très mal terminés, en dehors de la Tunisie, avec des guerres civiles en Syrie, Libye, Yémen, l’exacerbation de la rivalité entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

Un paradoxe est que la société de communication à outrance dans laquelle nous vivons n’empêche pas d’autres cloisons de s’ériger. L’évolution technologique a même un effet pervers en accentuant l’incompréhension entre les groupes sociaux, la violence. Elle n’empêche pas les réactions identitaires, la logique d’exclusion, le choc des civilisations.

Nous construisons des murs au lieu d’ouvrir les frontières. Des murs à la frontière du Mexique, de la Hongrie, entre Israéliens et Palestiniens. Nous sommes dans un processus de fermeture, de rejet de la mondialisation. La communication à outrance est conflictuelle: elle peut être interprétée comme une agression et provoquer des réactions de haine. Le village global est une fiction.

Les solutions existent, vous les ébauchez. Mais on sent une certaine circonspection: cette satanée nature humaine, toutes ces faiblesses qui détruisent l’édifice patiemment conçu, voire construit… Le manque de volonté politique va jusqu’à menacer des institutions comme le CICR. Vous êtes bien placé pour l’observer car vous avez été correspondant aux Nations Unies pendant plus de 20 ans.

Les institutions internationales sont affaiblies. Les grandes puissances, les États-Unis, la Russie, la Chine ne veulent pas d’une ONU forte qui pourrait s’interposer, comme ils font obstacle à la mise en œuvre de la Cour pénale internationale. A cause du droit de véto, le Conseil de sécurité est bloqué. La Russie a bloqué les résolutions sur la Syrie. Le droit humanitaire à été violé de manière massive dans l’impunité. Ce constat est alarmant. C’est pour cela que j’ai écrit ce livre, personnellement comme une forme de thérapie car j’ai souffert de la banalisation du mal comme correspondant à l’ONU, mais aussi pour appeler à réagir à la mondialisation de l’indifférence.

Propos recueillis par Christian Campiche, 30 août 2017

 

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