L’homme machine


L’US open de cette année, l’un des quatre tournois majeurs de tennis donc, m’inspire quelques réflexions sur le sport de haute compétition que je livre à chaud comme elles me viennent à l’esprit.

PAR BERNARD WALTER

Tous les joueurs du plus haut niveau axent leur saison sur ces grands tournois, ils programment leur préparation, entraînements, tournois auxquels ils participent, de manière à être « au top » pour les grands rendez-vous.

Or il se trouve que cette année, cinq des sept dominateurs du tennis mondial de ces dernières années sont absents du tournoi. Tous pour des raisons de blessures. Pourtant, ce ne sont pas des vieillards. Ils ont entre 27 et 32 ans.

Qui plus est, les meilleurs des viennent-ensuite sont en train de tomber l’un après l’autre.

« C’est le tournoi des éclopés » dit un des consultants de la RTS.

Restent, comme rescapés de l’hécatombe, Federer et Nadal, cités comme les archi-favoris du tournoi.

Un moment, on n’en a plus été si sûr. A propos de deux des trois derniers matches de Federer, les commentateurs furent unanimes à dire qu’ils n’ont jamais vu deux matches aussi étranges, deux matches en complets dents de scie, pour lui des matches de survie où il n’a dû son salut qu’à sa classe hors du commun. Deux choses furent dites à ce propos. « Federer a peu joué dernièrement, il lui faut un peu de temps, mais vous allez voir ! » et le total contraire : « Federer souffre de son dos et il ne va pas tenir longtemps ».

A voir son regard sombre lorsque la machine a des couacs, on a pu avoir des doutes quant à la suite.

Federer a passé le troisième tour, il a rassuré son monde. Il n’empêche : depuis quinze ans et plus, Federer ne cesse de jouer, depuis des années il est au sommet. Durant ce temps, les joueurs ne cessent de taper plus fort avec du matériel toujours plus performant. On use les balles en un match, on use et casse les raquettes, et après balles et raquettes, il y a aussi les hommes, qui deviennent des machines qui à leur tour s’usent et se cassent.

Ce que je tire comme observation de cet exemple, c’est que le sport de compétition de très haut niveau a atteint une frontière quasi infranchissable, un niveau de saturation, devenant une bulle qui piétine. On le voit dans le football. Il y a bien sûr ce délire financier qui voit des joueurs s’acheter pour des dizaines de millions et plus. Mais au delà de ça, on assiste dans le foot à un perfectionnement obsessionnel des méthodes de formation, d’entraînement, des techniques de préparation, des théories de jeu. Cela en devient une «pratique unique», laquelle s’inscrit dans la logique de notre monde où voudrait s’imposer une « pensée unique ». Sur le plan des compétences techniques des joueurs, c’est un véritable nivellement par le haut qui s’opère grâce à un formatage de tous les instants. Il en résulte ce paradoxe que sur le terrain, chaque joueur a son devoir, il ne joue plus, il suit des consignes. On cite le cas d’amendes de 1000 euros infligées à des joueurs pour des passes en retrait ! La conséquence, c’est des matches qui tous se ressemblent par leur schématisme, leur absence de poésie, leur froideur et absence de sentiments, leur manque de charme. L’élément déterminant qui sépare les tous grands clubs d’un club normal, c’est le joueur d’exception. Et celui-là, il coûte des sommes exorbitantes. C’est le mercenaire de luxe, celui qui va faire la différence.

Dans ce sport également, le champion est devenu un homme machine.

Dans tous les sports, la limite des possibilités physiques humaines est atteinte où dépassée. En athlétisme, les records du monde, figures emblématiques de ce sport, sont stagnants depuis une vingtaine d’années. Et puis l’image symbolique impressionnante, c’est la dernière course d’Usain Bolt, le héros mondial du sprint, qui termine à terre, couché sur la piste.

On peut multiplier les exemples. A chacun de se faire sa petite collection s’il en a envie.

On pourrait parler de Lance Armstrong qui a tellement nié pendant tant d’années qu’on n’arrive plus à croire les « extra-terrestres » qui nient.

On peut parler de ces finales d’athlétisme où le reporter qui commente la compétition veut faire vibrer le spectateur : « En tête de la course, le Suédois, le Danois, le Suisse et le Britannique se livrent une vraie bataille. » On peut les chercher, ils sont tous noirs : Kényans ou Ethiopiens ou Nigérians achetés et naturalisés pour faire des médailles pour le pays acheteur. Et l’âme, dans tout cela ?

On peut clore ce vaste domaine par là où il a commencé : les blessures. Les clavicules des cyclistes, les bras et jambes des motocyclistes, les commotions des skieurs, les ligaments, les genoux, le dos. On rafistole, raccommode et recoud, on reconstruit et la machine repart.

Je voudrais toutefois signaler une chose, qui n’a bien entendu rien à voir avec le sport : les machines ne pensent pas.

Les sportifs les plus célèbres sont des privilégiés. La banque X, les machines à café X, les lames de rasoir, voitures, télécommunications, chaussures, elles leur donnent de l’argent contre un sourire, et sans rien leur demander de plus. Elles ne leur demandent qu’une entière fidélité. Sans que ce soit dit ou écrit nulle part. C’est un contrat tacite : les hommes machines ne pensent pas, ils n’ont rien à dire sur ce qui se passe dans le monde.

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Un commentaire à “L’homme machine”

  1. Bernard Walter 5 septembre 2017 at 17:48 #

    Dernières nouvelles du front :
    Lara Gut 26 ans, meilleure skieuse du monde en 2016 Victime le 10 février dernier d’une déchirure des ligaments croisés du genou gauche lors d’un entraînement de slalom en marge des Mondiaux de St-Moritz, Lara Gut a regoûté aux joies du ski libre. 04.9.2017
    Marcel Hirscher 28 ans, 6x meilleur skieur du monde Victime d’une fracture de la malléole latérale de la jambe gauche le 18 août dernier, Marcel Hirscher entend revenir aux affaires cette année encore.  Le port d’un plâtre n’empêche pas Marcel Hirscher de s’entraîner. 05.9.201

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