L’Art Contemporain au World Trade Center de Manhattan le 11 septembre 2001

Le 8 septembre 2011, je publiais ici même un long article sur les événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

PAR PIERRE ADLER

J’aimerais aujourd’hui saisir l’occasion de ce mois de septembre 2017 pour rappeler deux anecdotes liées aux attaques de ce jour fatidique qui en disent long sur la démence de l’ancien avant-gardisme et le mercantilisme sans vergogne de la nouvelle avant-garde (ou ce qu’il en reste dans ce cirque médiatico-financier qu’on appelle l’Art Contemporain), ainsi que le mépris et le cynisme des deux.

Le 16 septembre 2001, Karl-Heinz Stockhausen, compositeur de musique avant-gardiste (il fait même de la musique avec des hélicoptères, cool non ?), s’est distingué mondialement en proclamant, lors d’une conférence de presse donnée à Hambourg, les attentats du onze septembre être « la plus grande œuvre d’art qui soit dans l’univers tout entier » (« das grösste Kunstwerk, was es überhaupt gibt für den ganzen Kosmos »), ajoutant que « cinq mille personnes furent expédiées dans l’éternité en un moment, ce que je ne serais pas capable de faire », une déclaration dont les ondes de choc firent trembler la presse internationale. Le festival de musique de quatre jours dédié aux œuvres du compositeur qui devait avoir lieu à Hambourg fut immédiatement annulé ; Stockhausen quitta la ville et se refusa à tout autre commentaire. Sur son site Web, il fournit l’excuse consacrée en ces cas-là que ses paroles avaient été citées hors contexte. Ce qui ne fit qu’aggraver son cas. Sa fille Mariella, pianiste talentueuse, qui n’avait plus de contact avec son père depuis plus de deux ans, annonça que désormais elle ne se produirait plus sous le nom de Stockhausen. (Voir l’article du « New York Times » du 30 septembre 2001; pour le texte de la conférence de presse de Stockhausen, lire ici.)

Une année plus tard, le bad boy Damien Hirst, un des poulains de la nouvelle «sculpture» britannique, un gars qui vend du requin coupé en morceaux flottant dans des bacs remplis de formol à des prix stratosphériques aux snobs de la classe hypermondialisée, eut l’idée fort originale de remettre cela en déclarant sur les ondes de la BBC que les attentats du onze constituaient « une œuvre d’art visuellement renversante à part entière»  (« a visually stunning artwork in its own right », « The Guardian », 19 septembre 2002). Etant donné la chute vertigineuse de la cote des œuvres de notre génie sur le marché de l’art que ces propos faisaient redouter au propriétaire de sa galerie, notre avant-gardiste professionnel fut forcé de présenter des rétractations dans un communiqué de presse une semaine plus tard. Le marché oblige…

Tandis que Stockhausen ne s’est jamais remis de sa crise mystique d’avant-gardisme, Damien Hirst continue de vendre joyeusement ses produits à ceux qui mondialisent notre planète et ses nations à coup de délocalisations, d’esclavagisme industriel, d’immigrationnisme imposé, de guerres civiles (Ukraine, Syrie, Irak) et de suicides de paysans.

 

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2 commmentaires à “L’Art Contemporain au World Trade Center de Manhattan le 11 septembre 2001”

  1. M. Piccolomini 23 septembre 2017 at 14:04 #

    Dans le même ordre d’idée lire qu’est-ce-qu’un artiste bancable de Aude de Kerros: https://www.contrepoints.org/2017/06/14/292020-quest-quun-artiste-bankable
    Situation d’autant plus paradoxale au moment où la pub pour le film « Gauguin » bat son plein.

  2. Pierre Adler 29 septembre 2017 at 15:49 #

    Merci de mentionner Aude de Kerros!
    On peut aussi écouter ses émissions et interventions sur le site Ekouter.net. Et puis il y a ses livres dont je ne puis que recommander la lecture.

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