Réflexion sur l’accélération de l’histoire


N’avez-vous pas pressenti un jour que les sociétés humaines sont finalement régies par les mêmes lois que le monde matériel ?

PAR PIERRE ROCHAT

Pour ma part, j’en suis convaincu car il n’y a aucune raison que l’être humain, qui fait partie de la nature, ne soit pas soumis aux lois de cette même nature, dites lois universelles d’ailleurs. Et j’ajouterais que plus l’Homme a pris conscience, au cours de son histoire, par les travaux de Copernic, Darwin, puis Freud, qu’il n’était pas une exception au-dessus de tout, moins il eut de raisons de croire qu’il était exempté et libéré des lois universelles. Seul Marx a voulu ne pas y croire.

Et un jour, je fis une découverte qui renforça encore mon pressentiment en lisant un ouvrage sur la théorie du chaos. Il mentionnait les travaux d’un mathématicien américain, contemporain, Mitchell Feigenbaum, qui a mis en lumière un nombre particulier, devenu la « constante de Feigenbaum » lorsque la communauté scientifique réalisa dans les années 70 la portée de cette découverte. La constante a une valeur absolue de 4,6692.

Ce nombre est la mesure de l’accélération des phénomènes qui nous entourent. Par phénomène, il faut entendre ici le passage d’un état à un autre. Ainsi la température de l’eau froide que l’on chauffe, à feu constant, n’augmente pas régulièrement, mais en accélérant jusqu’au point d’ébullition.

La plupart des phénomènes naturels ne sont pas linéaires. Dès lors, pourquoi pas le comportement des sociétés humaines, puisque nous postulons que ce sont les mêmes lois universelles qui les régissent ?

Imaginons, au début, une société cohérente et relativement unie derrière des valeurs communes et partagées. C’est le temps du consensus. Puis vient une période où la population se scinde en deux camps, la droite et la gauche, représentant chacun un choix de société. C’est le temps de la polarisation politique. Puis, dans les deux camps apparaissent des mouvements dissidents entraînés par des leaders ambitieux. C’est le temps des divisions. Ensuite apparaît l’avènement de groupes hétéroclites décidés à faire valoir leurs intérêts particuliers. C’est le temps du désordre. Enfin ce sont les individus qui désorganisent ce qui reste de structures. C’est le temps de la révolution et du chaos.

Considérons le comportement de cette société comme un phénomène naturel, non linéaire. L’application de la constante de Feigenbaum au déroulement de l’histoire de cette société prévoit que la durée qui s’écoule entre chaque phase politique est raccourcie d’un facteur 4,6692. Admettons qu’il se passe 75 ans (trois générations) entre la phase de consensus et la suivante. Alors il doit se passer 75 / 4,6692 = seize ans environ entre la phase des divisions et celle du désordre. Puis 16 / 4,6692 = trois ans et demi en gros entre le temps du désordre et l’arrivée du chaos final.

Appliquée à l’histoire économique depuis l’après-guerre, la formule pouvait annoncer le chaos qui a balayé la planète financière en 2007 !

Démonstration : 60 ans se sont écoulés de 1947 à 2007. Admettons que la première phase, la croissance, ait duré jusqu’en 1990. Alors les 60 / 4,66692 = 13 années suivantes ont représenté le bouleversement de la mondialisation et d’internet, jusqu’en 2004. Puis les 13 / 4,6692 = trois années suivantes ont vu l’émergence de bulles financières, jusqu’en 2007, où tout a éclaté.

Puisque le déroulement des cycles devient prévisible, il est dès lors tentant de penser que cet outil pourrait prédire l’avenir. Mais c’est illusoire car il nous manquera toujours une donnée essentielle, la durée du cycle. Comme disait Héraclite, « dans le fleuve, on ne se baigne jamais dans la même eau ».

 

 

 

 

 

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