Ryanair, bientôt le déclin d’un esclavagisme moderne?


En voulant voir jusqu’où on peut aller trop loin, on risque de se brûler les ailes.

PAR GÉRARD BLANC

Selon une information du site lalibre.be, la plainte déposée par trois ex-hôtesses et trois ex-stewards belges de la compagnie a été jugée recevable par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de Luxembourg. Elle risquerait bien de faire chanceler le tout puissant Michael O’Leary, patron de la compagnie low cost connu pour employer son personnel européen selon un contrat irlandais plus que lacunaire en matière d’obligation d’un employeur vis-à-vis de son personnel.

Voilà un gros pavé dans la mare du patron irlandais. Pour l’avocat général de la CJUE, Henrik Saugmandsgaard, les litiges relatifs aux contrats de travail d’hôtesses de l’air et de stewards de Charleroi relèvent de la compétence du juge du lieu du for juridique à partir duquel ceux-ci s’acquittent principalement de leurs obligations à l’égard de leur employeur. Dans le cas d’espèce, c’est donc le droit du travail belge qui doit s’appliquer, et non pas le droit irlandais, moins favorable au personnel de bord aérien. Pour la CJUE, la Cour de Mons jugeant le cas est bel et bien compétente. Le droit doit être fixé en fonction de six critères de lieu, à savoir : là où le travailleur débute et termine ses journées de travail; où les avions à bord desquels il accomplit son travail sont habituellement stationnés; où il prend connaissance des instructions communiquées par son employeur et organise sa journée de travail ; où il est contractuellement tenu de résider ; où un bureau mis à disposition par l’employeur se situe et où il doit se rendre en cas d’incapacité de travail et en cas de problème disciplinaire. Si les juges de Luxembourg suivent leur avocat général, Ryanair ne pourra donc plus appliquer le droit du travail irlandais hors de l’Eire, que l’on sait être moins favorable au personnel en matière d’horaires, d’heures supplémentaires, de congés de maternité, d’indemnités de repas, de préavis, etc. Cette décision faisant jurisprudence ne s’appliquerait pas uniquement à la Belgique, mais liera de la même manière les autres juridictions européennes. Cela remet donc directement en question le contrat de travail irlandais que Ryanair fait signer au personnel qu’il engage.

Jusqu’alors, les « épinglages » de ce genre ne faisaient qu’attiser l’arrogance de Michael O’Leary, dont les pratiques ont fait à de nombreuses occasions la une de la presse. Mais cette fois-ci, la donne risque de changer avec la jurisprudence de la Belgique à l’horizon. Et il ne pourra plus fanfaronner éternellement. Nombreuses sont les chaînes de télévision dont BFM et TVF qui ont constitué des dossiers accablants pour la compagnie, où, mettant à visages parfois couverts, des employés racontent leurs mésaventures dans une forme d’esclavagisme moderne. On citera le cas sur RMC, de l’employée Sofia Lichani expliquant : « Toutes les heures de travail ne sont pas payées, loin s’en faut. Le salaire est calculé au plus juste, payé uniquement au temps de vol effectué. Le parking à l’aéroport n’est pas payé, le briefing avant le vol n’est pas payé, l’embarquement n’est pas payé et les procédures de sécurité non plus. Nous sommes payés uniquement à partir du moment où l’avion roule et qu’il décolle. Au débarquement, il faut faire le ménage, qui n’est pas payé non plus. Quand on tombe malade, il n’y a pas de salaire ». Résultat, son premier mois de salaire s’est élevé à … 400 euros. Sofia Lichani a calculé que sur ses 55 mois passés chez Ryanair, elle a effectué au total 5000 heures de travail en étant payée seulement 3700 heures. Et Sofia Lichani de philosopher amèrement : « On a des salaires qui font que le low cost nous est imposé (…). On parlait d’uberisation de la société : c’est ça. On survit avec nos salaires, on paye des impôts. Le choix de billets pas chers comme chez Ryanair, le choix d’aller dans des magasins comme Aldi, ED, s’impose : on survit» ».
Procès sur procès : l’un des récents cas ayant mis le projecteur sur les pratiques de Michael O’Leary a émané de la Cour des comptes française à travers les taxes incroyablement basses pratiquées par l’aéroport de Beauvais en faveur du transporteur. Il y eut aussi le procédé dénoncé par des pilotes allemands de Ryanair consistant à embarquer un minimum de kérosène dans les réservoirs afin que, dans le cas d’encombrement de trafic d’un aéroport à l’atterrissage, un appareil de Ryanair puisse se poser avant les autres transporteurs en raison de manque de carburant : une pratique dangereuse pour les passagers et l’équipage. Par contre, quand une infraction est constatée de la part d’un passager, la facture est plutôt salée. Fort heureusement, tout le monde, et de loin, n’approuve pas les méthodes de Michael O’Leary, jusqu’à certains actionnaires qui viennent récemment de retirer leurs parts de la société. Les cas récurrents de procès et d’amendes pleuvent, comme, par exemple, celui concernant les délais pour des réclamations émanant de passagers.

Mais le plus scandaleux est peut-être l’avalanche de déclarations à l’emporte-pièce du milliardaire, comme, par exemple : « Nous employons tous des connards fainéants qui ont besoin d’un coup de pied dans l’arrière-train. Mais personne n’ose l’admettre », ou encore que les gouvernements européens emploient des méthodes « communistes » en voulant réglementer les problèmes de taxes des aéroports ou les règles d’emploi du personnel. La compagnie low cost arrivera-t-elle à se maintenir après la décision de la cour de justice de Luxembourg ? Rien n’est moins sûr, car maintenant, toutes les justices des pays européens tiennent en main une jurisprudence de choc. La quadrature du cercle sera de continuer à offrir les prix de transport aussi bas tout en offrant à son personnel un traitement plus décent. Michael O’Leary sera-t-il d’accord d’offrir, ne serait-ce que le dixième de sa fortune ?

Aujourd’hui, la donne semble changer de main. Ryanair supprime 2000 vols en septembre et octobre 2017 et en annulera peut-être davantage si la pénurie de pilotes continue à se faire sentir. Les représentants des pilotes de 17 bases européennes de Ryanair ont envoyé un courrier à la direction pour rejeter une proposition de renoncer à 10 jours de leurs congés contre une prime. Celle-ci comportait une condition : l’engagement de la part des pilotes de rester au sein de la compagnie pendant encore au moins un an. En position de force, ils ont rejeté cette proposition en exigeant un changement de modèle social avec la mise en place de contrats locaux.

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