De l’entropie à la croissance zéro


Petit rappel d’un vieux souvenir de nos cours de physique, l’entropie est la propriété de la matière d’échanger son énergie avec une autre jusqu’à l’équilibre. Belle affaire !

PAR PIERRE ROCHAT

Regardez un maréchal-ferrant travailler. Dans sa forge, mi-antre d’alchimiste mi-enfer, Vulcain chauffe le fer au rouge puis le plonge dans l’eau froide. Le fer perd de sa chaleur alors que l’eau en gagne. Laissons tremper le fer un moment dans l’eau et la température des deux corps s’égalisera. L’énergie du fer – la chaleur que lui confère le feu – a passé à l’eau jusqu’à l’équilibre des températures, c’est l’entropie.

Il en est ainsi de l’eau retenue par un barrage qui possède une énergie – sa position haute – qu’elle perdra en descendant dans la conduite forcée et qui sera transmise à la turbine. L’énergie de ces deux « corps » tendra vers zéro dès que la chute se tarira.

Et ainsi du vent qui souffle d’une région de haute pression à une autre de basse pression. Ce courant entre les deux masses d’air, engendré par la différence de pression, amènera la surpression en position iso-bar avec la basse pression : le vent tombera dès lors que les pressions se seront égalisées.

Cette loi fondamentale régit les échanges d’énergie dans l’univers. C’est Carnot qui, en 1824, jeta les bases de la thermodynamique dont relève l’entropie, concept qui fut formulé définitivement par Clausius quarante ans plus tard. Enfin, plus récemment, l’entropie a été reprise dans la théorie du chaos pour décrire le passage d’un état à un autre d’un corps ou d’un ensemble de corps formant un «système».

Imaginons maintenant appliquer la loi de l’entropie à l’économie. C’est précisément ce mécanisme qui commande la «loi de l’offre et de la demande», fondement de l’économie de marché. Démonstration.

Lorsque l’offre d’un bien est plus forte que sa demande, son prix augmente. A partir d’un certain seuil, le prix découragera les derniers acheteurs et il n’y aura plus d’échange. Si l’offre est adaptée à un niveau inférieur, alors les acheteurs se représenteront et les ventes reprendront. Le « système » trouvera son équilibre lorsque le nombre de transactions sera stabilisé.

La répartition des richesses ne devrait pas échapper non plus à cette loi de la thermodynamique. Et pourtant les inégalités ne cessent de se creuser. Il faut préciser que l’entropie fonctionne dans un système fermé. Dès que de l’énergie est injectée de l’extérieur – on continue à chauffer le fer plongé dans l’eau – le système reste dynamique et l’équilibre ne se fait pas. Par analogie, imaginons que la croissance joue ce rôle de catalyseur externe.

Comme le prédit la loi de l’entropie, la croissance zéro doit permettre à l’équilibre de se faire, ce qui conduit à une répartition neutre des richesses. Le corollaire est que la croissance alimente les inégalités. Voilà de quoi réactualiser la thèse du Club de Rome publiée en 1972 sous le titre « The Limits of Growth ».

Quel parallèle avec la notion d’entropie ! C’est confondant. On est interpelé et en droit de s’interroger. Les lois de la physique régissent-elles les activités humaines ? L’homme étant intégré à l’univers, il paraît logique de répondre affirmativement. Ou alors on considère l’Homme comme ayant une place à part, obéissant à des lois spécifiques, divines comme l’a longtemps soutenu l’Eglise. Ou enfin, on considère l’Homme comme libre et sans loi préétablie, à l’exemple de la pensée existentialiste.

La condition humaine faite de lourdes contraintes et d’une liberté étroite nous donne un indice. L’assujettissement de nos activités à entropie nous en donne un autre. Les indices s’accumulent en faveur de la première thèse. N’en déplaise à Saint Thomas D’Aquin, Marx et Sartre.

 

 

 

 

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