Anne Wiazemsky est partie rejoindre ses aïeux illustres et le « saint homme »


Décédée d’un cancer à l’âge de 70 ans, Anne Wiazemsky est partie rejoindre ses aïeux illustres et les personnages qui hantent ses récits autobiographiques.

PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Parmi eux, le père Deau, son professeur de français au Colegio Francia de Caracas, auquel, clin d’oeil du destin, elle a consacré un livre, qui sera son ultime ouvrage, « Un saint homme », publié par Gallimard en février 2017.

C’est en effet au Venezuela où elle passa les années les plus heureuses de sa jeunesse que se noua la complicité entre la petite-fille de Mauriac et son ange gardien du Venezuela. Au Colegio Francia ses prédispositions évidentes pour l’écriture valurent d’emblée à la jeune adolescente l’estime du jeune prêtre qui la prit sous son aile, un peu à la manière d’un pygmalion, provoquant des cancans au collège. La mère d’Anne profita des vacances estivales pour ramener ses enfants en France. Sans leur dire qu’il s’agissait d’un aller simple. Anne et son frère Pierre, le futur Wiaz, dessinateur du « Nouvel Observateur », ne reverront plus un pays où ils laissèrent des amis et des souvenirs très forts.

Tout l’art d’Anne Wiazemsky est de montrer avec finesse et pudeur la relation de pure connivence intellectuelle entre deux êtres qu’unit un profond respect mutuel. Issu d’une famille vendéenne très modeste, profondément croyant et pieux, sincèrement dévoué au service des indigents dans les quartiers populaires, le père Deau ne cessera de suivre avec admiration le parcours de sa protégée, laquelle, devenue l’égérie de Godard, entamera une carrière précoce au cinéma avant de se lancer dans l’écriture. Revenu à son tour en France après un long séjour en Afrique, il s’établit à Bordeaux et reprend contact avec celle qu’il continue d’appeler avec affection « ma petite Anne ». Ils correspondent et se voient lors de la sortie de chaque nouveau livre, autant d’événements auxquels le père Deau participe avec assiduité en mentor discret et modeste. Seule la mort du prêtre en 2006 viendra interrompre le rite.

Pour avoir également bien connu le père Deau, son professeur de français et de latin au même Colegio Francia de 1960 à 1962, l’auteur de ces lignes peut témoigner de l’authenticité du récit d’Anne Wiazemsky. L’établissement était encore constitué d’un groupe de constructions basses en pierre légère, avec un toit de tôle ondulée. Du fait des grandes distances dans une ville, Caracas, qui s’étendait déjà sur 25 kilomètres, beaucoup d’élèves ne rentraient pas chez eux lors de la pause de midi. Couverts de sueur et de poussière, nous jouions au football dans la cour de l’école, le père Deau se joignait à nous. Je le revois impétueux dans sa soutane blanche, courant tel un cabri et dribblant comme un beau diable.

Le jeune prêtre animait aussi la troupe des scouts. Un jour, un orage nous contraignit à rebrousser chemin alors que nous marchions le long de la montagne Avila qui surplombe la capitale. Le chemin était glissant, la moindre chute pouvait s’avérer fatale. Inconscients du danger, certains voulaient continuer mais le père Deau prit une décision ferme et nous fîmes demi-tour. Il nous ramena à bon port. Ce jour-là je l’ai senti très inquiet, pas pour lui mais pour les jeunes personnes dont il avait la charge et la responsabilité.

Pour se rattraper, il organisa une autre excursion quelque temps plus tard, vers l’intérieur du pays, cette fois. Cette sortie fut mémorable. Je salive encore en repensant aux spaghettis cuits sur feu de bois, je m’ébahis rétrospectivement de l’imagination débridée que nous développions dans nos occupations. Nous nous divisions en deux équipes et, couverts par le chant des cigales, nous rampions dans l’obscurité au milieu des herbes hautes. Le but était de parvenir à repérer l’ « adversaire » et à l’identifier. Le père Deau était toujours le plus rapide. La nuit s’achevait par un chapelet que nous récitions sous la tente avant de nous endormir. Nous ne ressentions aucune contrainte, seulement la conviction contagieuse d’un homme de grande foi.

Le père Deau, un exemple, un modèle qui manque tant aux jeunes générations d’aujourd’hui. Et un merci posthume à Anne Wiazemsky qui a rassemblé ce qui lui restait d’énergie pour accomplir son devoir de mémoire et nous restituer cette vie lumineuse au service de l’autre.

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4 commmentaires à “Anne Wiazemsky est partie rejoindre ses aïeux illustres et le « saint homme »”

  1. Thierry Fossaert 7 octobre 2017 at 21:05 #

    Merci, Christian, pour ce bel hommage à Anne et à Marcel Deau !
    Amitiés.
    Thierry

  2. Bertrand Baumann 8 octobre 2017 at 11:03 #

    Bonjour Christian,

    J’aime beaucoup la simplicité émue et la précision avec lesquelles tu as écrit cet article.
    Merci.
    Bertrand

  3. Denyse Hay 10 octobre 2017 at 13:16 #

    Quel magnifique hommage et aussi combien d’êtres d’exception il y avait dans ce Collegio Francia de Caracas.

  4. Donata Campiche 12 octobre 2017 at 18:19 #

    C’est grâce à ce travail de mémoire et au choix de mettre en lumière une personne comme le
    Père Deau que, nous, vos enfants nous restons conscients de l’importance de chercher et surtout reconnaître ceux qui sont des modèles de vie. L’individualisme et la starification semblent de mise mais tant que l’on reste ouvert à l’autre, il reste bien des occasions de découvrir des modèles bienveillants et éclairants. Merci donc de nous rappeler de garder les yeux ouverts, merci pour cet hommage et pour m’avoir fait découvrir ce livre.

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