Intéressante soirée de commémoration et de réflexion sur la Ligue marxiste révolutionnaire


La Ligue marxiste révolutionnaire a joué un rôle certes controversé, mais non négligeable, dans la vie politique suisse de la fin des années 60 aux années 80.

PAR PIERRE JEANNERET

Sous l’égide de l’Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier (AEHMO), quelques-uns de ses anciens responsables ont mis sur pied, le 5 octobre dernier à Lausanne,  une soirée qui a rencontré un succès absolument inattendu. Salle pleine, un public d’au moins 120 personnes: anciens de la LMR ou du PSO (parti socialiste ouvrier, son successeur dès 1980), membres actuels de SolidaritéS, qui en est peu ou prou l’émanation, mais aussi du parti socialiste et du parti du Travail.

Une rencontre liée au dépouillement des 111 retours à un questionnaire envoyé à quelque 600 membres de la LMR dont on a retrouvé la trace au terme d’un travail de fourmi, ce qui constitue un bon résultat sur le plan de l’analyse sociologique. Ces réponses, moitié en français, moitié en allemand, qui portent notamment sur les raisons de l’adhésion, les activités dans la LMR et le regard actuel sur ce vécu passé, constituent une source historique du plus grand intérêt.

La sociologue Jacqueline Heinen est en train d’en faire la synthèse, en vue d’un ouvrage qui paraîtra en 2018 aux Editions Antipodes, en collaboration avec l’AEHMO. Dans une allocution très vivante, elle a présenté quelques-unes des grandes lignes de ces témoignages. Ceux-ci ont été écrits par un tiers de femmes. La dimension féministe était très présente dans la LMR. Tout comme la dimension internationaliste (Vietnam, Nicaragua, Palestine…)

Ces témoignages, par ailleurs souvent émouvants, parlent aussi d’expériences de vie et de questions existentielles: faut-il vivre en communauté, faire ou non des enfants? Ils mettent en évidence l’importance de la formation théorique, le candidat à l’adhésion n’étant agréé dans le mouvement qu’au terme d’un véritable examen de passage.

Nombre de ces témoignages mettent l’accent sur le rythme de vie presque fou des militants: dès 5h du matin et jusqu’au soir, distribution de tracts devant des usines, participation à des manifestations, formation politique et exégèse de lectures marxistes, séances nocturnes… Si bien qu’un ancien cadre de la LMR vaudoise nous a confié un jour qu’après avoir quitté le mouvement par ras-le-bol, il a enfin de nouveau apprécié ce qu’était un coucher de soleil!

Autre «militant historique», qui s’était beaucoup engagé aux côtés de Solidarnośc en Pologne, Clive Lœrtscher a présenté à l’aide d’un beamer le fonds LMR tel qu’on peut le consulter dans les archives numérisées de l’AEHMO. Profitons-en pour rappeler le rôle éminent que joue cette petite organisation, née à Lausanne dans la mouvance de 1968 mais surtout active dès 1984, dans la sauvegarde d’une «mémoire ouvrière», au sens large du terme, et cela malgré des moyens financiers limités.

Le sigle LMR, a fortiori l’histoire de ce mouvement, semblent inconnus de beaucoup de jeunes aujourd’hui. Pietro Boschetti, ancien militant très actif à Fribourg, a ainsi rédigé une chronologie qui se révélera sans doute très utile.

Quelques dates-clefs de l’histoire de la LMR ou de son contexte politico-social, parmi d’autres: manifestation berlinoise contre la venue du shah d’Iran en 1967 (prémisse de Mai 68), exclusion du parti du Travail et fondation de la Ligue en 1969, soutien aux horlogers de Lip en 1973, occupation du chantier de Kaiseraugst en 1975, une date essentielle pour le mouvement antinucléaire, transformation de la LMR en PSO (1980).

Une discussion suivit, fort courtoise et empreinte d’esprit critique, même de la part des anciens militants de la LMR eux-mêmes, ce qu’il convient de relever. L’un des participants à ce petit débat rappela que le terme de «trotskiste» ne fut pas seulement accolé à l’organisation de manière stigmatisante par les «staliniens» (PST/POP), les anarchistes et les maoïstes, mais qu’il était également revendiqué par la LMR elle-même, dont l’un des gourous de l’époque était par ailleurs secrétaire de la IVe Internationale. Plus d’un «militant historique» releva le caractère sinon dogmatique, du moins sectaire du mouvement. Tout en soulignant avec une certaine émotion ce que celui-ci leur avait apporté en terme d’ouverture au monde. Un autre intervenant évoqua l’expérience précieuse que fut le nécessaire dialogue, dans le cadre de telle ou telle action, avec des militants d’autres obédiences de la gauche, par exemple des syndicalistes suisses ou immigrés, ou encore des catholiques fribourgeois inspirés par la théologie de la libération.

Que l’on ait adhéré à la Ligue marxiste révolutionnaire ou qu’on l’ait combattue à l’époque, nul ne niera son empreinte sur la société suisse et le rôle positif qu’elle joua dans un certain nombre de grands combats de la gauche. Pour n’en citer qu’un: la lutte contre les méfaits de l’amiante pour la santé des travailleurs.

Et beaucoup d’entre nous, parmi les plus anciens lecteurs de DP, se souviennent du choc, mêlé de stupéfaction et d’admiration, provoqué par un véritable exploit politico-alpinistique de la LMR lausannoise: tendre entre les tours de la cathédrale une immense banderole clamant son soutien au Vietnam lors de la guerre américaine!

Domaine Public

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2 commmentaires à “Intéressante soirée de commémoration et de réflexion sur la Ligue marxiste révolutionnaire”

  1. Bernard Walter 13 octobre 2017 at 22:57 #

    Merci de cette excellent excellent retour sur un moment d’histoire plein de vie, souvent bouillonnant, présenté d’une façon sensible, bienveillante et mesurée, en dehors de tout esprit partisan.

  2. Bernard Walter 14 octobre 2017 at 11:45 #

    Un seul excellent suffit, mes excuses pour cette erreur.

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