Parution d’une utile synthèse sur la Réforme en Suisse


Il y a 500 ans, en octobre 1517, Martin Luther apposait ses 95 thèses sur l’église de Wittenberg. Acte considéré comme déclencheur de la Réforme protestante. A l’occasion de cette commémoration, on a vu la publication d’une floraison d’ouvrages.

PAR PIERRE JEANNERET

Manquait peut-être une synthèse sur ce mouvement de pensée et ses conséquences considérables pour notre pays. C’est ce qu’a entrepris Pierre-Olivier Léchot, professeur d’histoire moderne à la Faculté de théologie protestante de Paris. Son petit ouvrage de 138 pages s’inscrit dans la collection Focus (Editions Alphil de Neuchâtel et Presses universitaires suisses). Celle-ci a vocation de présenter «des synthèses sur des thématiques de sciences humaines et sociales, ainsi que sur des sujets d’actualité», destinées à un large public. La collection compte à ce jour 17 titres. P.-O. Léchot est aussi l’auteur d’un nouveau Que sais-je? sur la Réforme.

Son petit ouvrage comporte une utile chronologie, une bibliographie sélective pour les lecteurs qui souhaiteraient approfondir le sujet, un glossaire et des cartes géopolitiques particulièrement bienvenues pour la Suisse, vu la complexité de son organisation composée, au 16e siècle, d’un ensemble de cantons, pays alliés et sujets. On regrettera en revanche que la part dévolue à l’iconographie soit si… protestante. Ah! la méfiance envers les images!

Par ailleurs, les formulations de l’auteur sont toujours extrêmement nuancées, peut-être un peu trop à nos yeux lorsqu’il est question de l’exécution sur le bûcher de Michel Servet, à laquelle Stefan Zweig avait consacré un livre très polémique et violent, Conscience contre violence, où en réalité il s’en prenait, à travers un Calvin diabolisé, au totalitarisme nazi. On saura en revanche gré à P.-O. Léchot de ne pas avoir rédigé une apologie du protestantisme…

Dégageons les grandes lignes de cet ouvrage, qui relate un processus plus complexe qu’il n’y paraît. D’abord, l’auteur décrit la vitalité de la vie religieuse catholique à la veille de la Réforme et minimise les accusations de «corruption» ou de «relâchement des mœurs» du clergé.

S’intéressant au contexte, il montre bien que cette période coïncide avec l’apogée de la puissance militaire suisse (Morat 1476) et au rapide déclin de celle-ci (Marignan 1515), qui provoqua une condamnation ferme du système mercenaire, notamment par Ulrich Zwingli et Niklaus Manuel, peintre et auteur dramatique au service de la Réforme. Il dégage aussi l’influence intellectuelle décisive d’Erasme de Rotterdam (alors à Bâle) et sa volonté de rendre le texte évangélique accessible aux laïcs, par le biais des traductions: «Je suis en effet passionnément en désaccord – écrit le grand humaniste – avec ceux qui refusent aux ignorants la lecture des Lettres divines après leur traduction en langues vulgaires, comme si l’enseignement du Christ était si obscur que seule une poignée de théologiens pouvait le comprendre, ou bien comme si la religion chrétienne n’avait d’autre rempart que l’ignorance que l’on en a.» On mesurera la modernité de la pensée et de la formulation!

Très justement, P.-O. Léchot relève le développement concomitant de la pensée critique et de l’imprimerie, qui allait décupler l’audience des thèses réformatrices. Cela, on le savait, diront certains. Mais c’est précisément le rôle de telles synthèses que de rappeler ces faits à un large public.

Où le livre fait preuve d’une réelle originalité, c’est dans l’évocation des divergences théologiques méconnues entre zwinglistes, luthériens et calvinistes. Celles-ci portent sur des sujets tels que le sens de la Cène, la prédestination ou encore le rapport du religieux aux autorités civiles. Des pages fort intéressantes, mais qui exigent du lecteur une certaine attention.

P.-O. Léchot accorde une large place à Ulrich Zwingli (1484-1531) et à la Réforme zurichoise. Celle-ci eut une influence déterminante sur la diffusion du mouvement réformateur dans toute la Suisse orientale: Schaffhouse, Saint-Gall, Thurgovie, Appenzell. Une demi-victoire cependant, puisque dans plusieurs cantons, catholiques et protestants furent condamnés à cœxister. L’auteur souligne pertinemment que la Réforme fut surtout un phénomène urbain. Peut-être aurait-il pu insister davantage sur ses liens avec l’essor du capitalisme. A Berne et dans les territoires que ce puissant canton contrôlait ou dominait, la Réforme alla de pair avec le pouvoir politique qui l’imposa: ainsi dans le Pays de Vaud conquis par étapes entre 1477 et 1536.

Un chapitre est consacré au mouvement anabaptiste zurichois, qui fut durement réprimé, notamment par des noyades. On regrettera cependant que l’auteur mette surtout en avant les manifestations extrémistes et parfois délirantes, en Allemagne, de ce mouvement aux tendances eschatologiques, et n’évoque que fort peu son caractère démocratique et social, voire «communiste» sur certains points. A ce sujet, on lira avec intérêt le livre engagé de Maurice Pianzola, Thomas Munzer ou la Guerre des paysans, dont la première édition remonte à 1958.

Les guerres de religion ne sont pas absentes de ce petit volume: c’est au cours de la seconde guerre de Kappel que Zwingli trouva la mort. Même si des conflits militaires de caractère religieux réapparurent aux 18e et 19e siècles, leur résolution amena à l’esprit de compromis helvétique, à laquelle l’auteur accorde une large attention.

Une large place est bien sûr faite à la présence de Calvin à Genève. Dans le chapitre qui lui est consacré, P.-O. Léchot rectifie un certain nombre de mythes à son sujet, et donne du personnage un visage plus humain que le portrait souvent fait de lui. Il relève aussi l’importance de l’écrivain (mais pas suffisamment celle de l’Institution de la religion chrétienne sur la langue française moderne), ses dons d’orateur et ses qualités d’organisateur.

Pour terminer, l’auteur explique d’abord le processus d’unification d’un protestantisme suisse habité, on l’a vu, par de notables divergences. Puis il tente de dégager les éléments essentiels de la culture religieuse du protestantisme suisse. Résumons-les brièvement: place centrale de la Bible et priorité de sa diffusion en langue vulgaire auprès des laïcs; rôle majeur de l’éducation, sous la forme de l’école (alphabétisation) et du catéchisme; figure du pasteur berger de ses ouailles et non intermédiaire entre les humains et le divin; centralité du culte du dimanche, du sermon et du chant des Psaumes; contrôle des mœurs et «épanouissement du modèle de la famille nucléaire»; moindre attention accordée au corps du défunt et aux funérailles: l’emplacement exact à Genève de la tombe de Calvin lui-même n’est pas connu! Curieusement absente de cette synthèse, l’apologie du travail, prometteur de gains sanctifiés par le Seigneur.

Et pour en revenir à l’impact de la Réforme sur la Suisse, P.-O. Léchot met l’accent final sur la nécessité «de trouver des modus vivendi susceptibles de favoriser une cohabitation pacifique, malgré la profonde intolérance doctrinale des uns et des autres». La cohabitation confessionnelle se révélera en effet comme l’un des grands acquis de la Suisse moderne.

Pierre-Olivier Léchot, «Une histoire de la Réforme protestante en Suisse (1520-1565)», Neuchâtel, Alphil-Presses universitaires suisses, 2017, 138 pages

Domaine Public

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Un commentaire à “Parution d’une utile synthèse sur la Réforme en Suisse”

  1. Lecerf 30 octobre 2017 at 19:12 #

    Excellente analyse qui invite à lire ce livre…

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