Quand la manipulation des faits devient système

Lettre ouverte à une journaliste d’un quotidien romand.

PAR SERÈN GUTTMANN

Comment pouvez-vous signer un article sur un livre que vous n’avez pas lu ?
A votre demande je vous ai fait parvenir en service de presse le récit que j’ai publié en 2014 « L’envers du décor. Petite contribution à l’histoire de l’asile en Suisse » (Editions Dits & Non-Dits Villars-sur-Glâne). Comme le contenu vous a échappé, je résume ce qu’il relate : les problèmes liés à la question de l’asile à la fin du XXème siècle. L’ouvrage est étayé sur de nombreux documents et des archives inédites qui ont échappé à votre curiosité.

Cas unique répertorié en Suisse, dans le canton de Fribourg le gouvernement a attribué à une seule institution, la Croix-rouge, l’accueil et l’assistance aux requérants d’asile. Choix non accepté par l’antenne locale de Caritas qui, en difficulté financière, exigeait le partage de ce mandat afin d’obtenir l’argent dispensé par la Confédération.
Face au refus des autorités cantonales, les soutiens de Caritas vont déclencher d’innombrables offensives visant à prouver qu’une seule institution ne pouvait gérer le mandat. De guérilla quotidienne, en tentatives multiples de destabilisation du service et des foyers d’accueil, jusqu’au harcèlement puis au mobbing de la directrice du Service, tous les moyens furent utilisés. Sans compter les boueuses et intolérables rumeurs relayées par des journalistes sans conscience. Ces bons samaritains finirent par obtenir ma tête sans qu’aucune faute professionnelle ou morale ait pu être invoquée.

Les conséquences de ce licenciement abusif furent très graves: la protection que tout demandeur d’asile est en droit d’attendre du pays d’accueil disparut des foyers. Le racisme, la violence désormais, s’y installèrent. Le dispensaire ne dispensa plus les soins adéquats. Ce fut la fin de la gestion financière équilibrée qui avait prévalue, elle tenait compte des opposants à une politique ouverte d’accueil. Des dépenses somptuaires au profit de l’encadrement, soit 9 millions, furent ainsi engloutis.

Silence sur tout cela, votre article ne parle donc pas du problème à l’origine de tous ces graves dysfonctionnements: la concurrence entre œuvres caritatives. Pas plus que des comportements scandaleux, inhumains ainsi générés, ni du mobbing et des questions éthiques que cette violence sociale engendre.

Par contre vous me calomniez, m’accusant de faits dont mon prédecesseur fut l’auteur. Ses propos racistes avait déclenché une grève de la faim dont les conséquences entraînèrent une modification de la loi sur l’asile.

Au cours d’une très brève interview, vous m’aviez demandé si j’avais quelque chose à me reprocher dans la conduite de mon service : « strictement rien », vous avais-je répondu. « Le but de mon livre, avais-je ajouté, était ma réhabilitation » après les torrents de boue déversés sur moi. Adepte des faits alternatifs, vous avez estimé que je devais bien être coupable de quelque chose, ou présumée, c’est tout comme… Non seulement vous m’imputez des actes commis par un autre, mais ma déclaration d’innocence à votre question est pour vous un mensonge ! Quelles sont vos sources? Qui est donc votre informateur qui sait mieux que moi ce que j’ai vécu ? Un de vos collègues journaliste, spécialiste tarifé de la Croix-rouge fribourgeoise. Il a d’abord en tant qu’étudiant en Histoire commis un piètre mémoire de licence où seule la direction de l’institution a été « interrogée » et où je suis nommément accusée de ces faits que vous reprenez calomnieusement. En devenant journaliste, votre collègue n’a pas varié dans l’incuriosité qui le caractérise et a produit pour le jubilé de l’institution une hagiographie affectée des mêmes lacunes que son travail universitaire. La recherche historique souffre de ce genre d’amateurisme, et vous, qui aviez la protagoniste témoin principal de ces évènements en face de vous, vous me discréditez, manipulant la vérité.

Ainsi, se perpétuent les falsifications de l’histoire par des articles de presse se référant à des sources pseudo scientifiques. Grâce à vous, et aux adeptes des faits alternatifs,  les fake news ont un bel avenir!

Votre rédacteur en chef avait accepté ma demande d’un droit de réponse. Je lui ai fait parvenir le texte intitulé « Haro sur le témoin ». Il ne l’a pas publié. J’ai tenté à maintes reprises d’obtenir une explication, un silence méprisant fut sa réponse.
Je me suis adressée au Conseil suisse de la presse (CSP). Bien que les délais aient été dépassés, ma plainte a été acceptée. Le dépôt de plainte s’est accompagné de plusieurs documents, dont la lettre de protestation demeurée sans réponse que je vous avais envoyée. Huit mois plus tard, le 14 mars 2016, le CSP déclare ne pas entrer en matière vu le dépôt tardif de la plainte. « L’auteure de l’ouvrage … s’insurge contre le contenu de l’article, qu’elle a ressenti comme un prolongement du mobbing dont elle aurait été victime. Contrairement aux promesses qui lui auraient été faites par oral, le journal n’a jamais publié la longue rectification qu’elle lui avait fait parvenir. »

Peut-être devriez-vous relire avec votre rédacteur en chef la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes ?

« La recherche de la vérité est au fondement de l’acte d’informer. Elle suppose la prise en compte des données disponibles et accessibles, le respect de l’intégrité des documents(textes, sons et images), la vérification, la rectification. »

L’Essor

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