Quand psychopathologie sexuelle et mafia russe s’entremêlent dans les Préalpes vaudoises


Le deuxième polar de Marc Voltenauer est une réussite.

PAR PIERRE JEANNERET

Le Dragon du Muveran, paru en 2015, premier roman policier d’un auteur parfaitement inconnu, avait remporté un succès tout à fait inattendu.

Celui-ci était certes en partie dû à son ancrage local. L’histoire s’y déroulait en effet à Gryon, joli village sis entre Bex et Villars, face au Grand Muveran et à la Dent Favre, et dans ses environs. Mais le lecteur était aussi emmené au centre de la Gendarmerie sur les hauts de Lausanne, à l’Institut de médecine légale du Chuv… et même aux Etats-Unis.

Le deuxième roman de Marc Voltenauer bénéficie aussi de cette intégration dans des lieux précis (temple, bistrots, chalets, alpages, etc.) que la population régionale et beaucoup de touristes connaissent. On est plongé dans un monde de paysans de montagne, où il est question de vaches, de concours de mamelles, de rivalités, qui n’est pas sans pittoresque. C’est un petit plus, mais l’intérêt principal du récit n’est pas là. L’histoire se déroule d’ailleurs aussi dans d’autres lieux, comme Berlin, le paradis fiscal de Zoug, l’Hôpital Riviera-Chablais à Monthey ou l’aéroport de Genève-Cointrin.

On attendait ce deuxième opus avec une impatience mêlée de crainte. Serait-il à la hauteur du premier? Eh bien oui, le pari est parfaitement tenu. Nous le jugeons même supérieur au Dragon, par sa construction, son art de tenir le lecteur en haleine et la qualité de sa langue.

Nous ne révélerons bien sûr pas le déroulement de l’intrigue! L’histoire commence pianissimo, avec une succession de très courts chapitres dont les liens entre eux n’apparaissent pas évidents. L’auteur s’embrouillerait-il dans son récit? Pas du tout.

Assez rapidement, des fils vont se nouer, des rapports s’établir. En réalité, Qui a tué Heidi? est fait de deux histoires parallèles, même si elles finissent par s’entremêler. L’une est liée à la psychopathologie sexuelle. Sur ce sujet comme sur d’autres (fonctionnement de la police, autopsies en médecine légale, psychiatrie, affaires financières troubles), l’auteur s’est dûment renseigné auprès de spécialistes et ses développements sonnent juste. Quant à l’intrigue parallèle, elle remet en scène le méga-projet avorté de constructions touristiques pharaoniques à Frience, alpage situé près de Gryon et de La Barboleusaz. Et c’est là qu’interviennent des sociétés financières opaques, et surtout le glaçant Litso Ice, tueur russe sans pitié ni scrupule. Mais n’en disons pas plus…

S’il débute en douceur, le roman devient de plus en plus haletant et captive le lecteur par son suspense. En cela, Marc Voltenauer respecte parfaitement les lois du genre. On passera l’éponge sur un chapitre 124 un peu grand-guignolesque, où l’auteur s’est trop laissé influencer par l’atmosphère des James Bond, dont son personnage principal est d’ailleurs un spécialiste.

Comme dans le roman précédent (et probablement dans ceux qui vont suivre…), il s’agit de l’inspecteur Andreas Auer, policier homosexuel atypique, qui vit en couple avec son compagnon, le journaliste Mikaël. En cela, l’auteur, qui transcrit sa propre expérience de vie dont il ne fait pas mystère, brise le mythe de l’«hyper-masculinité policière». Son adjointe est d’ailleurs Karine, une femme, qui connaît bien son karaté!

Le roman vaut aussi par la présence de personnages bien campés, monstrueux ou sympathiques, par l’existence de rapports familiaux ou d’amitié, et par une certaine tendresse. Des personnages non monolithiques, qui s’interrogent, qui éprouvent des doutes et des faiblesses, qui sont animés par des interrogations morales, voire théologiques.

Ancrage dans une réalité géographique et sociale, sens de la construction du récit, rythme qui tient le lecteur en haleine, caractère plausible des situations présentées, questionnements existentiels se conjuguent pour faire du roman policier Qui a tué Heidi? une véritable réussite.

Par ailleurs, ces dernières années, un certain nombre de «rompols»romands ont attiré l’attention de la critique. Est-ce à dire que l’on assiste à l’émergence d’une école littéraire policière régionale, à l’instar des prestigieuses écoles américaine, suédoise ou islandaise, elles aussi ancrées dans les conditions économiques, sociales, voire politiques? Il est sans doute encore trop tôt pour l’affirmer.

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