Passion Alaska


Il circule depuis un peu plus de deux mois un film comme tombé du ciel.

PAR BERNARD WALTER

Ce film n’est entouré d’aucun promoteur, d’aucun sponsor, d’aucune publicité, et pourtant il fait un tabac partout où il passe. Son titre: Passion Alaska. Un personnage central, Nicolas Reymond, un interviewer, Jean-Philippe Rapp, un cinéaste, Mathieu Wenger. C’est tout.

Passion Alaska a commencé sa carrière modestement au festival du film alpin des Diablerets.

Et puis il est passé en septembre à la Vallée de Joux, patrie de Nicolas Reymond. Et là, tout est allé très vite. Au cinéma de la Vallée, il a fallu d’emblée doubler les séances, du jamais vu! Normal direz-vous, Nicolas Reymond est le régional de l’étape. Eh bien pas vraiment. Partout où ce film passe, il attire la foule et suscite l’enthousiasme. A chaque projection, la salle est pleine, un peu partout en Suisse romande, à Genève même, où le film a été programmé cinq fois, et où il va repasser en décembre, et puis en France voisine. Et ce n’est pas près de s’arrêter. Le film va passer dans diverses localités de la région, et enfin même à Paris! C’est ce qui pour l’instant est fixé.

Pour comprendre cette histoire extraordinaire, il faut en situer le contexte.

Nicolas Reymond est un homme de la Vallée de Joux, un Combier, comme aiment à se nommer ses habitants. De profession, il est fustier. Ce drôle de nom s’applique à un constructeur de maisons de bois, en rondins. Si vous venez à la Vallée, vous verrez ici et là quelques-unes de ces maisons, c’est lui, Nicolas, qui les a faites, tout seul. Ce qui a eu toute son importance en Alaska.

Il y a un peu plus de vingt ans, Nicolas Reymond est parti vivre en Alaska une année avec sa femme et ses trois enfants. Depuis, sa passion pour l’Alaska ne l’a plus quitté. Et depuis, il y vit six mois par année depuis dix ans, seul, dans la maison qu’il a construite à des lieues de toute localité et de tout voisinage humain.

Et alors il y a sa rencontre avec Jean-Philippe Rapp, journaliste de télévision emblématique en Suisse romande ces dernières décennies. Depuis quelques années, Jean-Philippe Rapp fait des reportages sur la Vallée de Joux, notamment des interviews de personnages représentatifs de cette région. C’est ainsi que ses pérégrinations journalistiques l’ont conduit jusqu’à Nicolas Reymond qu’il a interviewé dans la série «Confidences». Jean-Philippe Rapp est absolument captivé par la personnalité de Nicolas Reymond, une amitié se noue, et deux ans plus tard, en 2015, ils vont se retrouver en Alaska en compagnie du réalisateur Mathieu Wenger.

De ce dialogue à trois naît le film Passion Alaska. Nicolas dans son royaume, le journaliste, magnifique interlocuteur, grâce à qui toute cette saga prend une incroyable dimension, et le réalisateur cameraman dont la présence est constante bien qu’on ne le voie jamais.

Ce film est une véritable réussite: beauté des images, un montage impeccable qui fait alterner les images du présent avec celles que Nicolas a tournées dans le passé, et le charme irrésistible du dialogue.

Dès le début du film, le spectateur est stupéfait et ne peut plus se détacher du récit. Nous voyons le train qui stoppe au kilomètre disons 157. Pas de gare évidemment. Rien. Nicolas est là pour recevoir ses deux invités. Et heureusement, car le prochain train passe dans une semaine. Cet accueil a quelque chose de surréaliste. On voit Nicolas Reymond qui instruit ses invités sur le comportement à avoir en cas de rencontre avec des ours. Et Jean-Philippe Rapp dont le visage se décompose au fur et à mesure que Nicolas donne ses explications. Parce que ce n’est pas du cinéma!!

Qu’est-ce qui fait que ce film déclenche pareilles réactions et récolte un pareil succès sans l’avoir cherché? C’est je pense que tout y est vrai. D’une vérité inhabituelle. C’est un monde perdu qui se redécouvre.

D’emblée, et première fascination qu’éprouve le spectateur, c’est le choc de la rencontre entre deux mondes qui donne à se voir. Fatigué du monde virtuel fait d’une quantité d’artifices sans fin, d’un monde qui se ressent bien souvent comme factice, il découvre un monde vrai, le monde des ours. Et quelque chose fait qu’au fond de nous, nous préférons le monde des ours à celui des robots.

La deuxième chose qui fascine, c’est que l’acteur unique du film, Nicolas Reymond, fait ça tout seul. Avec le plus grand naturel du monde. Sans hélicoptère pour le secourir en cas de pépin. Seul durant six mois. A faire face à tout ce qui peut arriver. Pas d’épicerie, pas de docteur, pas de pasteur, pas d’hélicoptère.

Troisième chose: son appel profond, pathétique, à sauver la nature vraie, le monde animal, le paradis perdu. Et cet appel résonne dans toute sa force car il est vrai. Nous reconnaissons bien que les ONG au service de la nature, les associations pour sauver les ours, sauver les éléphants, sauver les oiseaux, sont bien intentionnées et utiles. Mais ce que montre le film remplace tous les discours et les bonnes intentions.

En sortant de la première projection du film à la Vallée, je me suis exclamé: «C’est le film de l’année». Mais non, c’est bien plus que ça! C’est un film qui donne à comprendre le monde du 21ème siècle, l’état tragique dans lequel l’a mis l’espèce humaine occidentale, la perte irrémédiable du monde naturel vrai et l’engrenage inextricable dans lequel est engagé un monde virtuel fabriqué par l’homme, qui se croit le maître et qui n’est le maître de rien du tout.

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2 commmentaires à “Passion Alaska”

  1. Sima Dakkus Rassoul 3 décembre 2017 at 09:56 #

    Merci Berrnard, Je ne connais pas encore le film, mais ce que tu en dis donne immédiatement envie de le voir.

  2. Mathieu Wenger 15 décembre 2017 at 17:02 #

    Bonsoir et merci pour votre article.

    Pour info le film est à voir à ces dates :
    – 16 décembre à 18h à Oron
    – 17 décembre à 10h30 à Orbe
    – Le 28 décembre à 20h30 à la Bobine au Sentier
    – Le 30 décembre à 20h30 à la Bobine au Sentier
    – Le 4 janvier 2018 à 21h à Métabief (FR)
    – 19, 20 janvier à 20h30 à Chexbres
    – 18 mars au Festival Aventure et environnement à Cossonay

    Cordialement

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